Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

472 UN HIVER A PARIS

La complaisance inépuisable de Mme Barbier m'a procuré de nouvelles satisfactions. Elle m'a introduit dans plusieurs maisons de la bonne bourgeoisie où se fait d'excellente musique au piano-forte. J'ai retrouvé dans leurs salons le vieux Paris musical : jeunes filles simples et bonnes musiciennes; mères et tantes aimables, abritées comme autrefois sous les antiques rideaux de damas rouge. C’est encore la musique qui a fait les frais de soirées chez Mme Ney et chez Mme Louis Bonaparte ; le mari de la dernière est en ce moment en Italie; il suit une cure thermale pour guérir un eczéma à la main. Sa femme m'a montré ses broderies, ses dessins, et m’a fait visiter tout son hôtel. C’est celui qu'habitait le Premier Consul avant de se transporter aux Tuileries: l'hôtel n’a pas de grandes dimensions, mais l’installation intérieure est d'une élégance irréprochable, Un soir, j'ai été infidèle à l’harmonie, voulant répondre enfin à l’invitation, plusieurs fois renouvelée par mes hôtes de la Maison des Languedociens, d'assister à l’une des réunions qui ont lieu chez eux. Dans leur grand salon, il y avait une foule de méridionaux, presque tous jouant aux cartes: quelques Hollandaises et des femmes de Montpellier s’amusaient à regarder les tours de cartes exécutés par deux Languedociens, un jeune et un vieux. Tout ce monde causait avec une vivacité et une gaieté que je n’ai guère remarquées chez la jeunesse parisienne : on ne se privait même pas de fredonner des chansons; les toilettes étaient soignées, les rafraîchissements abondants et délicats. J'ai distingué dans l’assistance M. Maron (1), ministre calviniste,

(4) Marron (Paul-Henri), né à Leyde (Hollande), en 1754, d’une famille de réfugiés, était venu à Paris en 1788. Son talent oratoire et son instruction littéraire lui assurèrent bientôt une place marquante parmi les calvinistes, dont il réorganisa le culte à Paris; il