Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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un vieux portrait de Descartes qu'il compte parmi ses ancêtres. Une longue lettre autographe de Descartes, d’une écriture ferme, large, virile, a le méme caractère que la tête énergique du philosophe. J'ai acheté, à l'un de mes précédents voyages, une gravure ancienne française qui me paraît faite d’après le portrait que possède Châteaugiron.

Enfin! j'ai revu de nouveau au Théâtre-Français mon vieux et cher Molière, mais donné, Dieu sait comme! On jouait le Misanthrope et Sganarelle. La première pièce a été rendue d’une façon tout à fait médiocre: beaucoup plus mal qu’en 1792, alors que Molé (1), seul capable de soutenir le poids d’un rôle taillé par Molière, animait la scène. Le vieux Baptiste, qui le remplace, est insuffisant et maniéré; il saute aux yeux qu'il ne cherche qu'à imiter son prédécesseur. Il ÿ a huit ans, j’ai vu le Wisanthrope infiniment mieux joué à Hambourg par la troupe de Bruxelles que la guerre avait fait fuir. Mile Mézeray (2) s’est montrée convenable dans le rôle de Célimène: c’est tout ce qu'il m'est permis de dire.

Sganarelle à été moins mauvais; mais je n'ai plus retrouvé, chezles acteurs, la gaieté française, — qui n’était ni la jovialité allemande ni la licence italienne ou anglaise, — cette gaieté des grands comiques, toujours nationale et de bon goût, même dans ses exagérations. La charge italienne, avec laquelle les nouveaux bouffes familiarisent en ce moment le public parisien, perce sous

(1) Molé (René), au théâtre depuis 1760; mort en 4802. Il est rendu compte de ses funérailles au chapitre xu; lettre du 17 décembre, et son talent est apprécié au même endroit.

(2) Jolie, élégante, spirituelle, pourvue d’un organe agréable, Mlle Mézeray avait d'abord été chargée des rôles d'amoureuses. On lui reprochait alors un manque de sensibilité. Plus tard, dans les grandes coquettes, son défaut d'abandon était critiqué par les délicats.