Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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s'était créé un genre de déclamation différent du ton conventionnel des anciens acteurs tragiques, et plus près de la nature. J'ai donc été surpris de constater qu'il conserve l'habitude d'élever et d’abaisser rapidement la voix dans une même période, souvent dans une même phrase, avec des éclats sur les syllabes accentutes. Lekain et Aufresne (1), visant, chacun à sa manière, à la perfecfection, ne suivaient pas cette méthode ; de leur temps, elle n’était adoptée que par les acteurs de second ordre, qui lui sont restés fidèles. Pour Talma, peut-être est-ce au public que l'on doit imputer en partie le défaut, parce que ce public ne manque jamais d’applaudir une tirade ronflante, et que Talma, friand d’applaudissements, cède à la tentation de les provoquer. Pendant que je l’écoutais, je me prenais à souhaiter que ses heureuses dispositions eussent des occasions de se développer devant un auditoire plus cultivé, mieux doué de l'intelligence des beautés supérieures de la tragédie. Mais où trouver un semblable auditoire? Les acteurs grecs de la grande époque ont-ils, eux-mêmes, parlé devant un public de choix ? J’en doute. Je m'imagine que, dans tous les siècles, l’artiste se sentant la vocation et la puissance d'atteindre la perfection doit faire preuve d’abnégation courageuse, fixer son idéal, sans se préoccuper des contemporains et travailler à l'éducation des spectateurs de l'avenir, La

(1) Moins connu en France que Lekain, Aufresne, de son vrai nom Jean Rival, né à Genève, débuta à la Comédie-Française en 1765. Le naturel et la simplicité de son jeu furent goûtés par le public, mais suscitèrent une vive opposition de Ja part des comédiens dont ils bouleversaient les habitudes de déclamation. Fatigué de leurs tracasseries, Aufresne partit pour Berlin, où Frédérie II sut apprécier son « jeu noble, simple et vrai ». (Lettre à Voltaire. 1755). Catherine II l’attira ensuite à Pétersbourg ; les applaudissements et l'estime générale y restèrent fidèles au tragédien jusqu'à sa mort, en 1806.

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