Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

50 UN HIVER A PARIS

conscience de certains défauts de sa physionomie et de sa voix contribue sans doute à donner un air contraint, à l’excellent artiste. Son organe profond, monotone, réfractaire aux modulations, dégénère facilement en cris, dès qu'il faut exprimer un sentiment violent ou énergique. Le timbre de sa voix et son visage sévère ont destiné Talma aux grands rôles tragiques; quant aux autres rôles qu’il essaye ou subit, il doit sentir la nécessité de leur consacrer beaucoup plus de travail. Oreste, dit-on, est son triomphe ; il me tarde de ly voir.

Saint-Prix (1), chargé du rôle de Philoctète, a déployé de véritables aptitudes tragiques. Je serais presque tenté de dire qu'il a mieux déclamé que Talma, bien que son organe, également profond et monotone, l’expose à prendre facilement un ton de prêcheur.

Mlle Raucourt (2), ma favorite de longue date, s’est parfaitement tirée du rôle de Jocaste, malgré un débit qui exagère parfois les défauts de Talma et de Saint-Prix. Elle a rendu magistralement plusieurs scènes; celle de la double confidence, notamment, a été, pour elle et Talma. un véritable succès. Du reste, elle avaît dû mettre tous ses soins à son rôle, parce qu’une débutante s’y était fait applaudir pendant une absence du premier sujet. Elle devait aussi avoir à cœur de se concilier les bonnes grâces d’un public, assez mal disposé à son égard, qui

(4) Saint-Prix, entré aux Français en 1784, avait adopté l'emploi de père noble ; c'était le Maubant de l'époque.

(2) Mile Raucourt (Antoinette-Saucerotte), avait quarante-six ans. Cette tragédienne était rentrée aux Français en 1799, après la fermeture, par ordre du Directoire, d'un second Théâtre-Français que l'aristocrate Raucourt avait ouvert, rue de Louvois, en opposition avec le Théâtre de la République, rue Richelieu, où dominait l'in-

. fluence du démocrate Talma,