Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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duit dans la loge des Inspecteurs, en m'y assignant, entre eux et à perpétuité, une place d'honneur. Ils m'ont fait faire la connaissance du vieux Monsigny (1), ce compositeur si plein de sentiment. En considération de son talent et de la gène dans laquelle l’a mis la Révolution, on l’a nommé inspecteur du Conservatoire, bien que son âge et sa cataracte ne lui permettent plus de prendre une part active à la direction de l’Institut.

Le concert avait un intérêt particulier pour moi, parce que l'orchestre était uniquement composé d'élèves et qu'un élève le conduisait. Aucun des professeurs n’a pris part à l'exécution. Le vaillant orchestre s’est néanmoins bravement tiré d’une symphonie d'Haydn et d’une ouverture fort difficile de Chérubini. Et notez qu'il lui manquait quelques-uns de ses meilleurs sujets, convoqués à Saint-Cloud pour la messe du Premier Consul. Le Consul, dont le retour avait été annoncé, le matin même, par une salve d'artillerie, entend tous les dimanches une messe basse, avec morceau de musique.

On organise peu à peu sa chapelle; comme elle est encore peu nombreuse, les élèves du Conservatoire et le personnel de l'Opéra sont appelés à la renforcer.

Un jeune ténor a chanté une aria avec une excellente méthode ; deux cors et un violon ont exécuté des concertos d'une façon surprenante pour des élèves. J'avais admiré le bon goût courageux du ténor disant son morceau avec une extrême simplicité; aussi ai-je été très choqué d'entendre dire autour de moi : « Il chante

({) Monsigny avait soixante-treize ans; dès l’âge de quarante-huit ans, il ayait cessé de travailler pour le théâtre. « Depuis, le jour où j'ai achevé la partition de Félix (1771), disait-il, en 1810, à Fétis, la musique a été comme morte pour moi; il ne m'est plus venu une idée. »