Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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la fabrication et à la vente des harpes, auxquelles M. Érard a apporté des perfectionnements remarquables. La seule vue d’un de ces instruments, si artistement travaillés, entre les bras d’une belle personne, cause du plaisir ; suivant qu’elles sont plus ou moins ornées, les harpes coûtent de soixante (1,440 fr.) à cent louis neufs et au delà (2,400 fr.)! Les Russes et les Anglais, bons appréciateurs d’un travail fini et plus à même que d’autres de satisfaire leurs fantaisies, achètent la plupart de ces instruments. À Paris, on en trouve chez quelques « nouveaux riches »; ils se les procurent, ne fût-ce qu’à titre de meubles décoratifs. Pas plus qu'eux, leurs enfants n’ont en effet grand souci de cette musique, qui passionnait jadis tout ce qui était riche et distingué. Les gens du grand monde sont presque tous morts, d’autres ont fui Paris, et ceux qui sont revenus, dans ces derniers temps, n’ont plus ni la fortune ni la tranquillité d'esprit indispensables à la culture des arts d'agrément. C’est une des raisons pour lesquelles, en dehors des théâtres, on entend si peu de musique. Autrefois, elle vous poursuivait en quelque sorte : dans une foule de maisons, on pouvait entendre un quatuor presque chaque après-midi, et il ne se passait guère de soirée sans grand ou petit concert. On n’avait que l'embarras du choix entre le bon et le meilleur; tout cela est fini!

Hier, cependant, j'ai assisté à un concert (1) donné par les élèves du Conservatoire. La direction m'avait fait la galanterie de m'envoyer, dans un aimable billet, une carte d'entrée pour tous les concerts qui se donneront par abonnement cet hiver, chaque dimanche, de deux heures à quatre heures. Gossec et Chérubini m'ont intro-

(1) En 1802, ces séances musicales s’appelaient exercices.