Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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dans le repaire. Les jeux de hasard, qui n'étaient que tolérés autrefois, sont reconnus officiellement et donnés à ferme (1). Jusqu'à présent, les fermiers — beaucoup d'anciens nobles, dit-on — ne payaient à l’État que cinq millions par an; on vient d'élever le chiffre à six millions pour Paris seul. La loterie (2), limitée antérieurement à Paris, est étendue à toute la France, son prix de ferme a été triplé ou quadruplé; on estime que le gouvernement en tire treize millions. Ses annonces et ses billets, jusqu'aux plus infimes, sont offerts à tout venant sur la voie publique.

Il y a incontestablement du trouble et un manque d'équilibre dans les esprits. Plus de la moitié des gens que l’on rencontre ont l'air absorbé ; ils bâillent à se démancher la mächoire quand on leur parle, parce qu'ils ont pris l'habitude des nuits blanches; ils répondent à peine lorsqu'on leur pose une question. Si par exemple vous demandez votre chemin à un passant, il dira, d’un air distrait, sans même vous regarder : « Première à droite! » Insistez-vous, en faisant le geste indicateur, on réplique : « C'est-à-dire à gauche ! » Revenez-vous à la

(4) Sous le Consulat, la ferme des jeux fut donnée, par Fouché, à un seigneur Perrin, avec conseil d'ouvrir un Cercle aux étrangers; le fermier avait le droit d'établir, dans Paris, autant de maisons de jeu qu'il le jugerait utile à ses intérêts. En 1803, on comptait dix grandes maisons de jeu en activité. Le chiffre de six millions de redevance, indiqué par Reichardt, paraît élevé, si l’on remarque que le fameux Boursault, plus tard entrepreneur des Jeux, vidanges et immondices, ne payait que cinq millions et demi, et qu’en 1819 la ferme des jeux ne rapportait guère que sept millions. Dans ces chiffres n'étaient jamais compris les tours de bâton et gratifications de la main à la main, qui profitaient aux personnages les plus huppés, comme aux plus aimables ballerines. On estime qu'en 1803, ces largesses policières dépassaient un million.

(2) Abolie en 1793 par la Convention, sur la motion de Chau-

mette (l), la loterie avait été rétablie le 30 septembre 1799. Toutes les grandes villes de France avaient leur bureau de loterie en 1802.

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