Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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VII

29 novembre 1802.

Si vous me jurez d’être discret, je vais vous raconter comment s’est passée une de mes matinées chez une des beautés à la mode.

Avant-hier, à l’une de ses « assemblées », sur les trois heures du matin, elle m'avait engagé à revenir « dans la matinée », pour parcourir avec elle, au piano-forte, quelques partitions de Glück. « Que dois-je entendre par matinée ? avais-je insinué. — C’est à deux heures! »

A l'heure dite, j'arrive et le portier m'informe que « Madame » a fait demander plusieurs fois si je n’étais pas là. Je me hâte de monter l’escalier, je traverse l’antichambre, sans attendre que l’on m’annonce, et je pénètre dans le salon croyant bien trouver la maîtresse du logis devant son piano-forte. Personne dans le salon, et le piano-forte fermé! Tout à coup, une pimpante soubrette se montre à une porte dérobée et m'invite à entrer. Je la suis et je me trouve en présence de la « beauté » reposant dans son splendide lit de style grec, sous d’éblouissants draps de batiste, et avec un amoncellement de coussins recouverts de soie violet tendre. À droite et à gauche, de beaux vases grecs; sur le degré régnant autour du lit, les mignons souliers de bal de la veille! Les cheveux noués