Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

88 UN HIVER A PARIS

négligemment, la tête appuyée sur le bras droit, le genou gauche légèrement replié sous la moelleuse couverture, la belle indolente m'invite en souriant à prendre place près du lit. Nous causons de la dernière « assemblée », nous dissertons de quelques romans nouveaux, jetés pêle-mêle sur une toilette; au bout d’une demi-heure, on sonne la soubrette et je passe au salon pendant le temps du lever. Ce fut l'affaire d’un instant : Mme X... reparaît dans un charmant négligé. Enfin, nous nous installons devant le piano-forte. Mais à peine avions-nous chanté une scène, qu'un{homme tiré à quatre épingles est introduit : c'était le joaillier venant montrer des parures. On quitte le piano-forte pour examiner les bijoux; après les avoir maniés, remaniés, tournés, retournés, il est décidé qu'ils ne conviennent pas. Le bijéutier est congédié, mais avec recommandation pour une foule de colifichets destinés à un prochain bal.

Nous nous remettons au piano-forte, et nous attaquons un duo. Je plaquais le dernier accord, quand la soubrette apporte le déjeuner de madame : un poulet rôti et un flacon de vin de Syracuse. Elle détache une aile, boit une larme de muscat, sans penser à me dire de lui faire raïson. Je me risque à remplir un verre ; aussitôt on m’engage à vider le flacon, — ce dont je me donne de garde.

La partition est reprise, mais voici deux merveilleuses qui se présentent. Leur toilette est examinée, jugée, critiquée, et Mme se fâche très fort contre la faiseuse qui s’est permis de ne pas lui envoyer un chapeau semblable à celui qui sied si bien à l’une de ses visiteuses. À ce moment, la modiste incriminée paraît avec son carton. Tout d’abord, on la tanse vertement de sa négligence envers une bonne cliente. L’accusée se justifie de son mieux et, prenant l'offensive, reproche à la propriétaire