Vergniaud : 1753-1793

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répondit-il, rien ne me presse pour travailler».

La fortune, d’ailleurs, le tentait peu. « Il est encore plus essentiel de se bien porter que d’être riche, disait-il philosophiquement. Je m'accommoderais fort bien de l’un et de l’autre; mais ne pouvant pas réunir ce double bonheur, je me console avec une bonne santé de la sécheresse de ma bourse. »

Un jour vint cependant où, plus que jamais, il regretta sa pauvreté, car il ne put, faute de ressources, recueillir le dernier soupir de sa mère et consoler son vieux père. « Sa position me désole, écrivit-il, je n'ai jamais si bien senti combien il était cruel de n’être pas riche que dans ce moment où ma fortune ne me permet pas de faire le voyage pour aller l’embrasser et pleurer avec lui. »

Aussi, ne cessait-on de lui reprocher son insouciance, et un vieil oncle, prêtre bernardin et prieur de l'abbaye de Saint-Léonard-les-Chaumes, près La Rochelle, qui n’entendait pas aisément raillerie, écrivait à M. Alluaud : «Je vous avoue ingénûment que si je trouve quelque occasion pour faire sentir à votre beau-frère ma façon de penser sur toute sa conduite passée, la morale la plus raisonnable lui sera servie en abondance par un oncle vraiment amateur du bon ordre et de la subordination. »

Je ne sais, Messieurs, en quels termes cette abondante morale fut servie par cet abbé, très convaincu, sans doute, de l'utilité de ses pieuses méditations et incapable de comprendre le charme entraînant des rêveries auxquelles s’abandonnait si délicieusement Vergniaud; mais la correspondance de ce dernier ne contient aucune trace de la plus petite mésintelligence et on y rencontre, au contraire, à chaque instant, des phrases comme celle-ci : « Aimez toujours un frère