Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

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nelles; non, s'il sacrifie aux Muses, il ne leur donne que ses loisirs. Vergniaud pourtant, je le sais, a été accusé de paresse et d’insouciance: et il est si bien en possession, depuis longtemps, de cette lamentable réputation, la tradition est si bien et si complétement formée, qu'il peut sembler téméraire et inutile d'élever, à cet égard, un simple doute. Je ne saurais toutefois, je l'avoue, passer condamnation et en prendre mon parti. Insouciant! a-t-on dit. Mais avait-on lu ses lettres? Il n’est peut-être pas une phrase, pas une ligne, qui ne témoigne de ses constantes préoccupations. Jamais personne n'est, à son gré, assez zêlé ; il trouve la justice même trop lente, et se permet de la gourmander. Doit-il plaider? Il est toujours prêt longtemps à l'avance, il ne parle que de ses espérances ou de ses craintes. A-t-il plaidé? Avec franchise et sans orgueil, il rend compte du succès qu'il a obtenu, des compliments qu'on lui à faits, du résultat surtout, quelquefois même, — j'en suis fâché pour M. Dupaty, mais je le dirai, — du détail des voix. Il se plaint, d'ailleurs, d’être toujours, ou à peu près, « un avocat sans sac (1) ». Il voudrait bien, « pour sa fête, recevoir quelque cause en guise de bouquet (2). » Un peu plus tard, ilse félicite, — écoutez, Messieurs, c’est ce même avocat qui refuse une cause parce qu'il lui reste un écu (3), — d'avoir accroché deux grands

(4) Lettre n° 57, sans date, p. 72.

(2) 29 juin 1782, n° 56, p. 71.

(5) Nous faisons allusion à une anecdote qui, pour être racontée partout, ne nous en parait pas moins suspecte. Voici en quels termes M. Chauvot la relate (p. 97) : « Le procureur Duisabeau, destinant un jour deux affaires importantes au jeune avocat, se rendit dans son cabinet : il lui donnait une idée du premier procès, iorsque Vergniaud, qui bâillait depuis un instant, se lève, ya ouvrir son secrétaire, et, s'apercevant qu'il lui reste encore quelque argent, engage le bienveillant procureur à s'adresser à un autre. » — « Cette blämable indifférence, observe M. de Verdière (p. 40), existe-t-elle encore à Bordeaux? A Paris, on la dit inconnue.» Le mot de notre confrère a paru piquant. Mais peut-on savoir pourquoi un avocat refuse une cause ? Est-il tenu de le dire? Vergniaud, pauvre et désireux de réussir, ne devait pas, ce

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