Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

ET

Encore ne faudrait-il pas se hâter de condamner à la lecture du seul exorde : l'exorde est précisément la part faite aux amateurs de grand style; le reste est une discussion sérieuse et serrée, nourrie de raisons, pleine de faits. Dans le mémoire pour Jean Labeyrie, Vergniaud, ayant à exprimer cette idée si simple, mais si vieille, d’une vie entière de vertu protégeant un accusé, craint d’être banal, et a recours à l’histoire romaine, une des grandes passions du temps. « Varius, Espagnol, accuse Scaurus; Scaurus, prince du Sénat, nie : Romains qui croirez-vous? Tel fut le plaidoyer de Scaurus; et son accusateur fut obligé de se retirer, couvert des huées du peuple. C'était donc tout à Rome que d’être homme de bien : ne sera-ce rien en France? (1) » Mais voulez-vous voir Vergniaud livré à lui-même, et ne se préoccupant que d’être vrai? Il atteindra sans effort le grand style, et nous rappellera d'autant plus les anciens modèles qu'il paraîtra s’en souvenir moins. Voici son début dans l'affaire Gamot (2) : « Nous défendons un ministre de la religion accusé d’assassinat, de crime de lèse-majesté, de blasphèmes et de subornation de témoins dans le tribunal de la pénitence. Nous frémissons, mais nous ne craignons rien pour le sieur Gamot, en rappelant les crimes qui lui sont imputés. Cette énumération scandaleuse prépare-la honte de son accusateur. Cependant le sieur Gamot est dans les fers. La calomnie a fait venir à son secours la violence qui, se décorant du nom de justice, a rédigé une procédure plus monstrueuse peut-être que l’accusation qui lui a servi de base. Une partialité manifeste de la part du juge, en faveur de l’accusateur, auquel il est uni par les liens du sang ; une plainte altérée par des additions qui ont eu pour objet de rendre légales des vexations inouïes; une information faite, en quelque sorte, à main armée: le décret le plus flétrissant, décerné sans

(4) Vatel, t. IT, p. 57. (2) Ibid., p. 45.