Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875

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l'illustre chef : il lui appartient tout entier, par le souci de la forme, par le fréquent emploi du pathétique, par la magie enfin de sa grande et puissante parole. Il écrit ses plaidoyers, et les lit à la barre; mais il sait lire comme on improvise, avec la même spontanéité, la même chaleur, le même accent. Tout est à sa place dans un discours ainsi étudié : chaque pensée trouve l'expression qu'elle réclame et recoit le développement qui lui convient: et les mouvements d’éloquence, prémédités et calculés, n'arrivent qu'à leur heure, pour achever et rendre décisif le triomphe de l'argumentation. Mais faut-il répliquer sur-le-champ ? l’avocat, loin d’avoir rien à redouter d’une pareille épreuve, recueille alors le fruit de son long et patient travail : l’écrivain, en lui, se double d’un orateur ; son langage, pour être improvisé, n’en a pourtant ni moins de précision, ni moins d'élégance ; et l’on peut une fois de plus se convaincre que c’est la plume à la main que l’on apprend le mieux à parler.

Les plaidoiries qu’on a conservées de Vergniaud sont de véritables œuvres littéraires. Écoutéz-le, Messieurs, dans la fameuse affaire de la Religieuse; et dites-moi si plus grande perfection de style s'est vue jamais, si jamais plus noble et plus magnifique langage s’est fait entendre à la barre. La sœur Sainte-Colombe réclame sa part dans la succession de son oncle; mais elle est morte civilement : Vergniaud la repousse au nom de la famille. « Dans l'ordre de la religion, une voix céleste lui crie : Si vous voulez atteindre la perfection évangélique, donnez tout ce que vous possédez aux pauvres, et suivez-moi. Les pauvres ont leurs richesses dans le ciel; ceux qui les accumulent sur la terre amassent aussi les trésors de la colère du Seigneur... Dans l'ordre politique, la loi repousse la sœur Sainte-Colombe avec plus d'énergie encore. Vous voulez succéder, lui dit-elle, vous qui, dès que la raison à commencé à vous éclairer, avez nourri votre âme des idées sublimes de la religion ; qui, dans un âge où le monde devait