Étude historique et critique de l'impôt sur le sel en France : thèse pour le doctorat
— 171 —
payer Pimpôt; c’est une avance qu'il faut bien que les propriétaires leur remboursent ou en salaires ou en aumônes; mais c’est une avance du pauvre au riche, dont l'attente est accompagnée de toutes les langueurs de la misère » (1).
Si même, comme le prétendent certains esprits, le riche consomme un peu plus de sel que le pauvre par suite de ses domestiques et des réceptions qu'il donne, ce peut être au plus dans une très minime proportion, tandis que sa fortune est parfois cent ou mille fois plus grande: encore faut-il observer qu'une invitation en amène généralement une autre, et qu'après l’échange de politesses, la consommation de sel ne s’est accrue ni d’un côté, ni de l’autre; souvent même le riche remplace le sel par d’autres ingrédients, qui ne sont pas à la portée de l’ouvrier pour corriger la saveur de ses mets grossiers.
L’impôt sur cette denrée est donc frappé dans sa base d’une iniquité; si la charge est en principe égale pour tous, elle est par la même progressivement inégale pour chaque fortune; « c’est un impôt en raison inverse des facultés et du revenu, un impôt progressif à rebours, progressif comme la pauvreté du contribuable » (2). Aussi, en 1846, Lamartine faisait-il justement observer à la Chambre des députés que la suppression de cette taxe représentait « une idée, une idée de justice, une idée de liberté, une idée surtout d'égalité » (3).
(1) Œuvres de Turgot. T. I, p. 413, édition Guillaumin.
(2) Joserx Garnier. Traité ides finances, page 527, 4° édition.
(3) Troisième supplément au Moniteur du 23 avril 1846,