Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

XV

Nous voici donc arrivés à la fin de l’existence de ce travailleur obscur, absolument ignoré, non seulement de la foule, mais de la plupart de ceux qui se sont occupés du mouvement économique au xvirree siècle, Nous l’avons racontée longuement, trop longuement sans doute au gré de plus d’un parmi nos lecteurs, quise sera demandé pourquoi nous exhumions lamémoire de Butré des profondeurs de l’oubli. En acceptant ce reproche mérité — car on est toujours coupable de n’avoir pas su intéresser son publie — nous avouerons pourtant que nous ne regrettons pas les longues heures passées à dépouiller, à classer et à interpréter cet amas de feuilles jaunies, déterrées dans les greniers du vieux Fritz et sauvées de la sorte d’une destruction certaine. Il y a, pour l’érudit, un puissant attrait à faire sortir, pour ainsi dire du néant, une personnalité quelconque; à reconstruire toute une existence, pour humble qu’elle soit, par un travail de conjectures et de mosaïque patiente ; à être le premier, en un mot, à se rendre compte d’une individualité humaine et à l'expliquer aux autres. Mais ce n’est pas seulement à cette satisfaction purement égoïste que j'en appelle, pour légitimer la longueur de ce travail. Pour bien comprendre une époque, pour bien en saisir, non pas seulement les vains bruits extérieurs et le fracas des armes, mais les courants profonds et cachés, il importe de ne pas en étudier seulement les coryphées. Ceux-ci sont, soit au-dessus, soit en avant, soit en arrière de leurs contemporains ; ils préparent la sphère intellectuelle et morale où devront se mouvoir les générations nouvelles; ils essaient peut-être de réagir contre l'esprit du siècle, s’ils ne le devancent. Ce n’est donc pas à eux qu'il faut demander le tableau fidèle de leur temps, ce n’est pas dans leur existence qu’on recueillera l’image