Correspondance diplomatique de Talleyrand. La mission de Talleyrand à Londres, en 1792 : correspondance inédite de Talleyrand avec le département des affaires étrangéres le général Biron, etc.

428 LETTRES DE TALLEYRAND

l'Europe des Américains n’était que l'Angleterre. Ils n'ont guère d'idées comparatives de grandeur, de puissance, de noblesse et d’élévation que celles qui leur sont fournies par des objets tirés de l'Angleterre ; et surpris eux-mêmes de la hardiesse du pas qu'ils ont fait en s’en séparant, ils sont ramenés au respect et à la subordination vers elle, par tous leurs mouvements involontaires.

Ils ne se dissimulent pas, il est vrai, que, sans la France, ils n'auraient pas réussi à devenir indépendants ; mais ils savent trop de politique pour croire de nation à nation à la vertu qu'on appelle reconnaissance. Ils savent que les services désintéressés ont seuls des droits à ce pur sentiment, et qu'il n’y à point de tels services entre les États. Et comment pourraient-ils s'y tromper? Lorsque l'Amérique, affranchie du joug de l'Angleterre, périssait sous le poids de sa propre anarchie, lorsqu'au milieu de son indépendance, il lui manquait la liberté, lorsqu'elle faisait effort pour se la procurer et arriver à sa Constitution fédérale, les chefs du pays découvrirent que l'ambassadeur de France avait des instructions pour traverser cette entreprise. Ce même allié qui avait tout sacrifié pour les séparer de l'Angleterre, voulait les tenir désunis entre eux. Il voulait les condamner à une longue et pénible enfance, afin qu'ils fussent émancipés sans avoir ni sagesse pour se conduire ni force pour se protéger eux-mêmes. Telles étaient les instructions de M. de Ternan, alors