Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE 25

son départ en Amérique, on sen ferait, la plupart du temps, une opinion très erronée. L'ample et précieuse publication de M. Doniol! permet non seulement de rétablir les faits, ce qui importe surtout à l’histoire, mais encore de préciser les dispositions psychologiques du sujet que nous étudions. « Jamais plus belle cause, dit La Fayette (I, 9), n'avait attiré l'attention des hommes; c'était le dernier combat de la liberté, et sa défaite ne lui laissait ni asile ni espérance. » Il n’apercoit pas, au moment où il écrit, en 1785, la possibilité d'une telle lutte en France. S'allier avec les insurgents et les pousser à la guerre lui paraissait un moyen d'empêcher leur union avec l'Angleterre, et, par la méme, la ruine définitive de la France déjà imminente après la paix de 1763. Telles sont d’ailleurs les conceptions qui avaient inspiré la diplomatie de Choiseul, de 1761 à 1770, et qui avaient été reprises par Vergennes dès son entrée dans le ministère de Turgot, en juillet 1774. Elles avaient été suggérées à La Fayette pendant son séjour à Metz, en 1775, par le comte de Broglie. Celui-ci, naguère confident de Choiseul, avait fourni à Louis XV le chevalier d'Éon pour sa diplomatie secrète. Et cependant La Fayette ignore le rôle de Choiseul et proteste même contre l’idée de lui en faire un mérite, «tant ce ministre, dit-il (I, 11), pensait peu à la révolution dont quelques personnes lui ont attribué l'honneur rétrograde » !

Il se trompe également sur les dispositions du gouvernement français en 1775; il le suppose encore dans la dépendance de l'Angleterre et d'accord avec elle contre les colonies américaines, et il n’est pas

1. Histoire de la participation de la France à l'établissement des ÉtatsUnis d'Amérique, 5 vol. in-4°, 1886-1892.