Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

56 ‘GORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

manière que d'être jugé sage par une conduite opposée. » (II, 58.) Avec la même audace contre le préjugé, il entreprend, en mai 1785, à son troisième retour d'Amérique, de faire donner un état civil aux protestants, court à Nîmes et dans les Cévennes, s’entretient avec le plus éminent des « pasteurs du désert », Paul Rabaut, obtient l’édit du 3 février 1788, et « présente à une table ministérielle le premier ecclésiastique protestant qu'on ait vu paraître à Versailles depuis la révocation de 1685 ». (II, 223.) En 1793, dans la prison de Magdebourg, son imagination se transporte encore, à l’idée de la lutte contre les jacobins et la coalition. « Incorrigible, ditesvous... Je l'avoue; livré à la plus violente des passions, cette liberté qui eut mes premiers vœux est ici le perpétuel objet de mes méditations solitaires. C'est ce qu'une de nos amies appelait ma sainte folie. » (IV, 237; cf. lettre IV.) Quand il ne peut plus faire de coups de tête lui-même, il en propose à ses amis. Il en suggère un aux États-Unis dans sa prison de Neisse {lettre XXVIT) : « Qu'ils signifient à l'empereur, avec éclat, une réclamation publique, où l’on se gardera surtout d’atténuer ses titres à la haine coalitionnaire. » Ge n’est rien moins qu’un casus belli auquel il les provoque « pour attaquer avec éclat les derniers retranchements de sa prison ».

Dans chacun des exemples qui précèdent, nous voyons l'impulsion émotionnelle aboutir à un commencement d'action ou de résolution; quand le sentiment domine, le sujet bondit sur la difficulté sans réfléchir, et ne fait que s’exalter par l’obstacle. Mais quand le sentiment ne suffit plus à triompher des difficultés d'ordre pratique ou intellectuel ou des répugnances préalables, il se dérobe brusquement