Danton émigré : recherches sur la diplomatie de la République an 1er-1793

LA POLITIQUE DE DANTON. 143

Aucunement.

Prises en masse, elles nous méconnaissaient, nous ignoraient profondément, nous jalousaient, nous détestaient par tradition et par préjugé. Sans parler des déchirements intérieurs de la France, l'attachement invétéré des populations occidentales (nous ne parlons pas même ici de la Russie et de la Turquie d'Europe) pour l’ancienne religion et pour l’ancienne monarchie, — fétichisme déplorable au point de vue du progrès, sinon à celui de l’ordre, et qui dure encore, à cette heure même, chez une partie assez considérable de la nation française, — n’explique que trop la répulsion instinctive qu'elles éprouvaient pour la Révolution.

Excepté par une élite qui s'était élevée à la hauteur du grand mouvement philosophique du xvmr siècle, et qui fut considérable en Angleterre, déjà moindre dans les Pays-Bas, peu nombreuse en Allemagne, presque nulle en Espagne et en Italie, partout la France était tenue à l'index.

Vouloir affranchir et régénérer, révolutionner de tels peuplés, malgré eux, c’était donc chercher la guerre à outrance et sans fin.

L'erreur de Cloots et de tous les Cosmopolites, qui étaient certains qu'à Bruxelles, à La Haye, à Francfort, à Trèves, à Manheim, à Vienne et à Berlin on n’attendait que d’apercevoir les trois couleurs « pour renverser la Bastille, » fut précisément de prendre pour base de leur système et de leur entreprise le contraire de la vérité que nous venons d'émettre.

En tout cas, la France ne pouvait songer un seul instant à porter à son propre compte une pareille dépense de sang et d'argent, surtout pour atteindre finalement à un résultat aussi éminemment contraire aux tendances fraternelles et pacifiques indéniables de la Révolution que cette guerre interminable et universelle.

La propagande armée était donc une pure illusion, une aberration aussi redoutable que généreuse, et le décret qui lui avait délivré ses lettres patentes n'était, en vérité, qu'un héroïque affolement.