Discours de M. le général Cubières, pair de France, ancien ministre de la guerre, membre du Comité d'infanterie : recueillis et précédés d'une notice historique par un officier de l'ancienne armée

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Mais nous, nous sommes fondés à dire aux abolitionnistes que le trafic de la traite est interdit depuis longtemps ; que les marchés d’esclaves sont fermés; que dès lors le pas le plus important à faire pour l'abolition de l'esclavage a été fait; que dès lors rien ne nous presse, rien ne nous force à nous suicider à jour pris d'avance, à heure fixe et sans rémission , par l'abandon de nos colonies et de notre commerce maritime, el cela pour arriver à l'émancipation immédiate.

Mais je vous le demande, messieurs, est-ce que nos pères sont parvenus de plein saut à la liberté individuelle, à la possession des droits du citoyen? L’état social, au contraire, ne s'est-il pas modifié peu à peu chez nous comme partout? n’at-il pas subi une longue série de transformations depuis le servage jusqu’au régime constitutionnel ? Et l’on voudrait, au moyen d’une rançon payée comptant, faire surgir tout à coup une société nègre, émancipée de pied en cap ! Mais il esi avéré que les esclaves catholiques de nos colonies sont moins bien préparés à l'émancipation que les esclaves de la religion anglicane, et cependant l'affranchissement de ces derniers a détruit le travail et la production.

Il serait temps, selon nous, de considérer l'émancipation des esclaves comme une réforme purement industrielle, et cela se peut faire sans porter atteinte à son caractère moral et religieux, attendu qu’il ne s’agit plus du principe en luième mais de son application. Il serait temps de faire trève. aux déductions trop rigoureuses, trop absolues du principe, pour ne résoudre la question que par les règles qui président aux {ransactions ordinaires entre les intérêts matériels. IL serail temps que l'intelligence administrative perçàt les nuages qui lenvironnent. Il serait temps de comprendre qu’il s’agit de règlements pour des ateliers, et non pas de fonder une sociélé nouvelle. Enfin il serait temps d’entrevoir que l’indemnilé pécuniaire, intégrale, n’est pas un moyen eflicace d’arriver à la mise en œuvre de l'émancipation sans altérer notre