Journal d'un étudiant (Edmond Géraud), pendant la Révolution (1789-1793)

PENDANT LA RÉVOLUTION. 19

sans voir l'Opéra, écrit Karamsine, est comme celui qui va à Rome sans voir le pape. »

« J'ai été à l'Opéra avec des billets d'auteurs, dit Edmond. Quel ensemble ! quelle réunion de talents! soit dans la musique, les machines, les acteurs surtout! L'esprit est plongé dans une illusion complète. On donnait un nouvel opéra pour la première fois : Nephté, reine d'Égypte. J'y vis jouer les plus fameux acteurs. Il y eut un ballet à la suite, où Vestris? et Gardel5 dansèrent ; je me perdrais dans de vaines descriptions pour dépeindre l'enthousiasme et le charme où tous les deux me plongèrent.

« J'ai été aussi aux Italiens, où J'éprouvai, mais dans un autre genre, le même plaisir qu'à l'Opéra *. Nous

d'instruments à vent, était merveilleux et jouissait d'une réputation européenne.

1. Le beau jour de l'Opéra était le vendredi: ce soir-là la salle étincelait littéralement.

2. Vestris était le fils naturel du danseur Vestris, qui s'intitulait lui-même « le diou de la danse », et de Mile Allard ; on l'avait surnommé Vestrallard en raison de cette origine. Le danseur Dauberval, qui avait eu également les bonnes grâces de Mlle A1lard, dit un jour un mot assez plaisant. Des coulisses il assistait aux débuts du jeune Vestris, et émerveillé il s’écria : « Quel malheur! C'est le fils de Vestris et ce n’est pas le mien! Hélas, je ne l'ai manqué que d’un quart d'heure! »

« Vestris, dit Karamsine, était semblable à Sirius au milieu des étoiles; son âme était dans ses jambes; d’un autre côté, la flamme de Sa physionomie en faisait un Cicéron dans son genre. »

5. Gardel était superbe dans la pantomime tragique.

4. La salle du Théâtre Italien avait été construite en 1785 sur les terrains appartenant au duc de Choiseul. Pour donner satis-