La patrie Serbe

LA PATRIE SERRE Sa

dépouillés et des branchages assombrissaif la neige. Constamment une personne ou un cheval perdant pied, roulait dans la direction des plaques vertes du Drin tumultueux. La tourmente, sans cesse accrue, enfourait les fugitifs d’un filet aux mailles mouvantes. Une cons: truction aérienne, aussi délicate qu'un mirage, dessina tout à coup ses ogives inégales. Pressé entre les montagnes, le Drin roulait son obseurité torrentueuse sous les arcatures légères du pont. C'était sinistre et fantastique. Sur la rampe on glissait davantage qu’on n'avait encore glissé. Les exilés déroulaient leur lente théorie, confondus avec les chevaux et les mulets chargés de ballots. Le passage de ce pont féerique aux deux ares si aigus était une angoisse, souvent le pas fait en avant, ramenait de deux pas en arrière. Le fleuve de ténèbres courait en d'inquiétantes profondeurs. Le Roi Pierre avait vu brüler la fortune de son armée, maintenant il assistait à l'exode lugubre. Lui aussi dirigeait sa marche lasse vers le plan fortement incliné. Avant d'atteindre cette étape de son calvaire, il S’affaissa un moment, exténué, demandant un peu de tiédeur à ün feu sans éclat. Ettandis que durait cette halte, sans cesse s'écoulait l’armée impuissante, mais inyaincue, la nation meurtrie mais non abaftue; le Roi allongeait près du bois difficilement inflammable ses mains tremblantes, si fermes encore quelques mois avant pour tenir un fusil. Pierre [er avait très froid : il avait surtout froid à l’âme devant le malheur illimité, le sort injuste déchaînés sur la Serbie, Enfin lentement il se dressa et s'achemina vers le pont merveilleux. Un silence tragique révélait l'ampleur du drame: avec la neige sur l’Albanie glacée s’appesantissait le calme des cimeières. La migration continuait. Les rideaux compactes furent doucement soulevés par d’'invisibles