La patrie Serbe
236 LA PATRIE SERBE
plus nombreuses ; elles déroulaient leurs banderoles vers le Roi, assis auprès d'elles sur un pauvre tabouret. Dehors, la bise nocturne courait sur les pentes et les plateaux ; s'insinuant à travers les vêtements elle transperçait la peau, les os, les moelles. Le brouillard était condensé en petits nuages se pourchassant rapidement pour voiler et dévoiler la lune placide dont il manquait un morceau. La clarté lunaire dessinait les reliefs en marquant nettement lesombres grandies démesurément. Les Alpes albanaises luisaient alors, brillantes ef pures. En cercle autour des maigres feux, les fugitifs grelottaient sans dormir ; serrés les uns contre les autres ils cherchaïent à se transmettre unreste dechaleuranimale. Toute cettelumière morte, tombée sur un monde mort, augmentait, semblait-il, le froid, et les étoiles faisaient penser à des diamants, à du métal, à du verre, à des choses glacées.
L'aube donnait naissance à la brume navrante, cette brume d'abord légère, déchiquetée en diaphanes écharpes, rajoutait peu à peuses lambeaux et absorbait les derniers plans, mais en les absorbant elle les éloïgnait, confondant toute cette blancheur ; négation de la vie, du coloris, elle immatérialisait les’objets et prolongeait le monde visible jusque dans l'infini. Le mince sentier pénétrait en avant eten arrière dans cette: opacité et n'avait plus de bornes. Saisies par le brouillard les montagnes s'élevaient, on ne savait jusqu'où. Les ravins descendaient dans un vertige. On marchait l'esprit perdu au milieu des ténèbres laiteuses, évocatrices du vide stérile. Les sonorités étouffées semblaient arriver d'un mystérieux au-delà. Toujours la faim tenaillait l'estomac ; elle devenait plus lancinante si on avalail un morceau de pain. On éprouvait une sorte de déchirement comme une séparation dans le milieu du corps.