La Révolution française (1789-1815)
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reprendre la tradition de nos grands politiques et de nos grands souverains. Ce fut là la légitimité de la Révolution, qui, au fond, n'a fait que reprendre et accomplir la grande tradition de notre histoire. C’est là le point de vue prépondérant que j'ai établi depuis longtemps.
Le mouvement graduel de la civilisation, la prépondérance croissante des notions scientifiques, la décomposition continue des convictions théologiques rendaient de plus en plus nécessaire l'avènement d’un point de vue positif et terrestre qui pût rallier l’activité des hommes en dehors de toute préoccupation surnaturelle ; et, l'on peut le dire, une des plus grandes preuves de la décadence de la royauté fut la révocation de l’édit de Nantes, où Louis XIV détruisit la grande construction par laquelle Henri IV avait associé au service commun de la patrie tous les Français, malgré leur profonde diversité théologique. La grande élaboration du dix-huitième siècle fit enfin surgir les deux grandes notions prépondérantes de patrie et d'immortalité dans le souvenir des hommes, comme étant les deux vraies conditions de ralliement de toutes les activités individuelles. Indiquons en quelques traits l’évolution de ces deux notions. Et d’abord, écoutons Corneille dans Horace :
« Et du bonheur public fait sa félicité. »
Et Richelieu, transmettant le pouvoir à Mazarin, lui disait: « Dans ces travaux, que j’ai conçus et exécutés pour la grandeur de ma patrie, j'ai trouvé mes plus chères délices et mes plus solides contentements. »
Et enfin, Voltaire, représentant Brutus, après le sacrifice nécessaire de sa famille à sa patrie, lui fait dire :
« Rome est libre, il suffit, rendons grâces aux dieux !»
En outre, Messieurs, il faut considérer la prépondérance graduelle de deux expressions, à partir surtout du milieu du dix-huitième siècle : ce sont les mots de citoyen et de patriote. Il y a là le symptôme d’une profonde et décisive transformation mentale et morale.
Mais en rapport avec cette évolution de la double notion de civisme et de patrie, nous pouvons suivre l'avènement d'une notion corrélative, à savoir le sentiment de la perpé-