La Serbie

RENE NV NN Te Te

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Prix du numéro: 10 centimes

Paraissant tous les Dimanches

Rédacteur en cheî :

La paix russe et la Serbie

Les maximalistes russes viennent d’ac-

= complir, para conclusion de Farmistice

avec l'Allemagne et ses alliés, un acte dont les conséquences, si graves qu’elles soient, doivent être envisagées avec calme et sang-froid. La Russie ne veut ou ne peut pas se battre, tel est le fait brutal avec lequel il faut dorénavant compter. Comme facteur militaire dans la lutte contre le germanisme, la Russie n'existe plus, et c’est avec un allié de moins qu’il faudra continuer la guerre, si l’on veut vaincre. La défaillance russe est d'autant plus douloureuse qu'elle se produit dans des circons_tances plutôt tragi-comiques. Il est tragique “de voir un grand et noble peuple accomplir une trahison, non seulement odieuse au point de vue moral, mais néfaste pour l'avenir de la Russie même. Et il est comique d’assister aux pourparlers de paix entre Lénine, Trotzki et consorts d’un côté, — qui se parent du titre d’apôtres de la révolution et de la justice sociales, — et des représentants de Guillaume, Charles, Ferdinand et Mohamed, de l’autre, — ces quatre seuls monarques ne connaissant pas d'autre droit que leur pouvoir issu de la volonté divine! Pourtant, ce n’est pas le moment d'examiner le grotesque de la situation créée par les bolchevikis, dont il

semble que laudace n'ait pas de bornes.

Ce qui nous préoccupe, c'est le sort de notre peuple et de notre chère patrie qui a cru en la Russié comme en Dieu, et qui se sent touchée, par la trahison des bolchevikis, au cœur même de ses espérances.

La guerre a cependant endurci les Serbes, et les épreuves nombreuses, par lesquelles le peuple serbe a dû passer, lui ont appris à résister aux plus grands malheurs. Les bases morales. de notre politique ne sont pas ébranlées par la trahison de Pétrograde, et si nous ne pouvons plus compter sur le concours des divisions russes, ce n’est pas une raison d’oublier que le haut idéal de liberté et de justice auquel nous avons tout sacrifié, nous commande de continuer la lutte. La Russie, représentée en ce moment par une bande d’aventuriers et d'agents allemands, accepte la domination ‘allemande. Elle consent à se soumettre à la botte prussienne plutôt que de continuer la guerre,

Ce dilemme nous a été posé, à nous et à nos alliés, déjà avant la guerre, et aujourd’hui comme hier, il se présente sous la même forme. Nous avons à choisir: où bien périr et perdre l'indépendance politique et économique, pour servir éternellement les intérêts des maîtres allemands, ou bien continuer la défense en compagnie des Etats les plus grands et les plus civilisés du monde. Dans de telles conditions, il n’y a pas de choix. La Russie nous était très proche, nous croyions en elle et nous espérions d’elle notre salut. La France, l’Angleterre et l'Amérique ne nous connaissaient pas et ne s’intéressaient pas beaucoup à notre sort. La guerre a changé la situation, et non seulement l'idéologie politique, mais aussi et surtout les intérêts les plus élémentaires, conseillent à nos alliés de nous garantir notre liberté nationale la plus complète. Le spectre du Mittel-Europa s’étendant de Hambourg à Bagdad a pris, après la défaillance russe, une forme particulièrement menaçante. Le sort du monde entier se joue sur le continent européen, et la

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Serbie courageuse y représente Pobstacle |

le plus sérieux à l'établissement de l'hègè monie allemande. L'honneur de nos alliés est engagé à la restauration de la Serbie, mais les intérêts les plus vitaux d'une Europe tranquille et pacifique exigent la réalisation de nos aspirations nationales. Les Austro-Allemands veulent insinuer qu'après la trahison russe, les Serbes doivent renoncer à la lutte, le pilier principal

de leur politique s'étant effondré. Nous

aurons l’occasion de revenir sur cet argument fallacieux, et pour le moment nous voulons constater, que les piliers principaux de notre politique sont la justesse de notre cause, le droit à la vie et le désir d’être libres et affranchis de toute domination étrangère. La trahison russe n’y a rien changé. Au demeurant, la guerre est loin d’être terminée et les forces matérielles des Alliés sont tellement imposantes que même les esprits faibles se redressent lorsqu'ils y regardent de près. Mais parmi les Serbes il n’y a pas de faibles. Et nous avons des raisons de croire que les erreurs du passé ne se répéteront pas et que le front de Salonique sera, à temps, renforcé pour toute

éventualité. L. M.

_Joseph Casement-Caillaux _

Si l'Angleterre a eu son Casement, la France, elle aussi, aura maintenant le sien. Il s’appelle Joseph Caillaux. IL fut précédé par Bolo pacha, Almeyreda et Turmel. Seulement ces derniers ne sont que des traîtres d’une espèce vulgaire tels que l’on en voit un peu partout. Eux, ils trahissaient leur pays pour de l'argent. Chez M. Caillaux rien de pareil. C'est un défaitiste « par conviction », un « illuminé » comme certains disent en parlant de Trotzky et de Lénine.

Trafic d'honneur n’enrichit pas, dit un proverbe français. Mais M. Caillaux n’est pas de cet avis là, Lui, en homme avisé, il a trouvé que la France possède un patrimoine moral comme nul autre pays au monde, en quoi, du reste, il a parfaitement raison. Mais en excellent homme d'affaire chez qui tout ce qu’on possède peut être l’objet de transaction commerciale, il considérait que la France avait aussi de l'honneur à revendre aux autres.

Et qui parmi les autres peuples en aurait plus besoin que l'Allemagne ? Donc le marché sera vite conclu et il sera avantageux pour les deux parties. On sacrifiera aussi au besoin quelques alliés, mais « on sauvera » la République. M. Caïillaux voulait donc « sauver » la République en capitulant devant l'Allemagne, tout comme jadis le maréchal Bazaine croyait sauver l'empire en capitulant à Metz. Or, l'empire sombra précisément par la faute de Bazaine et l'honneur français ne fut alors sauvé que grâce aux efforts surhumains de Gambetta et au patriotisme de Thiers.

Si M. Caillaux avait eu le temps de lire l’histoire de son pays, il aurait peut-être tâché d’imiter Gambetta qui, en tout cas, était beaucoup plus républicain que Bazaine. Mais les affaires sont les affaires et M. Caillaux n'avait guère le souci de s’ SÉCHPÈE du passé.

Pendant la séance du 13 décembre, le délégué socialiste tchèque Habermann, président du club socialiste au Parlement autrichien, protesta en termes émus contre les attaques grossières, dont fut victime le roi Pierre de Serbie de la part d’un rustre princier. En effet, le prince Auersperg, en critiquant aux Délégations la politique serbophile tchèque, a appelé le vénérable souverain de Serbie un « filou ».

Le délégué socialiste Habermann, tout en protestant contre la grossièreté du noble prince, ajouta avec ironie que cette façon de traiter les têtes couronnées pourraïit facilement faire école, même s'il ne s'agissait pas de souverains slaves !

Nous ne voulons rien dire de cette attaque misérable contre le roi Pierre, attaque tellement vulgaire qu’elle a dégoûté même des socialistes, adversaires déclarés de tous les morarques.

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Le délégué socialiste Habermann défend le roi de Serbie devant les Délégations autrichiennes.

‘historique autrichienne, celui qui a voulu

Dr Lazar Markovié, professeur à l’Université de Belgrade

L'impudence d’un pseudo-historien

Le fameux professeur Heinrich FriedUno, Ce représentants typique de la science

“ faire , l'histoire en produisant des faux comme preuves de ses affirmations fantastiques, vient de réapparaîïtre sur la scène. Le scandale de 1909 aurait mis fin à son activité “ d'historien , dans tout pays, sauf en Autriche, où, comme le dit l'écrivain viennois Hermann Bahr, tout va de travers. C'est ainsi que la réputation de Friedjung s'accrut encore par la révélation sensationnelle que les documents sur lesquels le “ savant , construisait ses tableaux historiques, étaient des faux fabriqués dans la légation d'AutricheHongrie à Belgrade ! Il ne faut donc pas s'étonner que la “ Frankfurter Zeitung , du 11 décembre, en parlant d'un article récent de Friedjung, dise qu'il mérite la plus grande attention ! Les copains se valent évidemment !

Or, ce Herr Professor Friedjung, alias grand maître en matière de faux documents, se croit autorisé à parler de la Serbie et de son avenir. Il considère la question des Balkans comme définitivement résolue en faveur des puissances centrales. Par conséquent, le sort de la Serbie serait déjà scellé. Mais les vainner — ce sont les Austro-Allemands !

JOURNAL POLITIQUE MEBDOMADAIRE

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— ne sont pas si méchants et ils penserort aussi au bien du peuple serbe, trompé et abusé par ses dirigeants. Pour que ce bon peuple fût à l'avenir préservé d'un tel malheur et ne pût se défendre contre des périls “ imaginaires ,, il faudrait que la Serbie fût annexée à la Monarchie, ou bien, si on la laissait subsister, il faudrait lui interdire de posséder une armée. Du moment que la Serbie supprime son armée, l'Autriche se montrera galante et ne Ss'Opposera pas au passage des produits serbes par son territoire. C'est ainsi que l'Autriche éviterait l'ennui de devoir garder Belgrade et Smederevo pour elle. De même que l'Allemagne pourrait renoncer à Anvers, si la Belgique était dépourvue de toute armée, de même la Mornarchie austro-hongroise consentirait à renoncer à la possession matérielle de cette partie de la Serbie, si l'on créait en Serbie un état de choses conforme aux besoins autrichiens.

Nous enregistrons ces désirs de Frieajung uniquement à titre de curiosité, pour montrer à nos lecteurs à quel degré certains esprits « scientifiques » en. Autriche

souffrent d'une maladie incurable, qui, tout en se manifestant par de pareilles impudences, n'en ressemble pas moins à la

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M. Caillaux et 1 et la Serbie

Il y a un peu de tout dans la masse des paroles, démarches et intrigues reprochées à M. Caillaux par le rapport du général Dubail, et tout a son intérêt. On permettra cependant à ceux qui, comme moi, se préoccupent particulièrement des choses slaves, de s'arrêter de préférence aux cyniques propos qu'il aurait tenus à Rome sur le compte de la Serbie.

On connaît la thèse abracadabrante de ce financier mué en diplomate: alliance de la France avec l'Italie, l'Espagne et l’Allemagne (l'Autriche n "est pas nommée, mais évidemment elle est comprise dans le terme «Allemagne »; on ne saurait penser que M. Caillaux ait négligé une puissance si digne d’attirer sa sympathie) ; rupture avec la Russie et PAngleterre, et abandon de nos alliés de moindre envergure, la Roumanie et la Serbie. Celle-ci, aurait dit M. Caillaux avec la désinvolture « talonrouge » qu'on lui connaît, celle-ci disparaftra, mais « elle n’aura que ce qu’elle mérite ».

Cette affirmation effarante risque de ne pas frapper autant qu'il le faudrait lattention publique, parce qu'elle vise un point que nous £nous sommes malheureusement habitués à regarder comme secondaire dans la guerre actuelle. On m’excusera donc d'y insister, au cas — que je veux espérer improbable, — où certains de nos concitoyens partageraient pour l'héroïque petit peuple des Balkans le mépris transcendental affiché par le grand tripoteur de Mamers.

*

« La Serbie n’aura que ce qu’elle mérite »: je ne puis m'expliquer ce not qu’en le rapprochant d’un autre, qu'un de mes amis a entendu prononcer au début de la guerre par quelqu'un qui se croyait évidemment très spirituel: « Qu'est-ce que c'est encore que cette Serbie pour laquelle nous allons nous battre ? » Les Serbes sont des gêneurs; ce sont eux qui nous ont forcés à rompre cette paix bénie pendant laquelle les Allemands nous envahissaient si Sournoisement, — et pendant laquelle nos

financiers brassaient de si bonnes affaires!

S'ils sont mangés par l’Autriche, ils ne l’auront vraiment pas volé. Ai-je besoin de dire qu’une telle opinion,

historiquement, ne tient pas debout? Nous ne nous battons pas pour la Serbie, mais à l'occasion dé la Serbie, ce qui est bien différent. Il y avait, entre les ambitions monstrueuses de l'Austro- -Allemagne et la résistance naturelle de tous les autres peuples, un conflit latent, virtuel, qui devait se manifester ici ou là, plus tôt ou plus tard, mais qui était inévitable. L’incident de Sarajevo n’a été qu’un prétexte. C'a été comme une de ces blessures légères au lendemain desquelles on est tout surpris de voir l'organisme très gravement malade, parce qu’elles ont déterminé l’éclosion extérieure d’une infection depuis longtemps couvée. L'Europe était pourrie de germanisme: l'affaire austro-serbe a fait apparaître le mal, mais ne l’a point créé,

On peut même dire que les Serbes, loin de provoquer la guerre, ont tout fait pour l'éviter. Ce peuple, auquel M. Caiïllaux reproche sa mauvaise tête, a été d’une docilité presque excessive aux conseils ultrapacifiques que l’Entente a cru devoir lui donner. Que ce soit-au moment de la crise bosniaque, dans le conflit de 1914, ou enfin à la veille de la rupture avec la Bulgarie, les Serbes ont patienté et cédé tant qu'ils ont pu, et plus qu'ils n'auraient dû, parce que nous le leur demandions. Dans le dernier cas notamment, s'ils nous avaient moins fidèlement écoutés, ils auraient prévenu l’irruption bulgare ; le roi Pierre serait encore maître de Belgrade, et nos troupes ne seraient pas menacées à Salonique. Les représenter après cela comme des troublefête, c’est un paradoxe un peu fort, même pour l’inspirateur d’Almereyda !

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La thèse caillautiste, qui constitue le plus injurieux démenti à l'histoire, n’est pas un défi moins scandaleux à la doctrine dont nous nous réclamons en France, et dont nous ne pouvons pas ne pas nous réclamer, car nous perdrions notre raison d’être. Cette thèse suppose en effet que les peuples, et surtout les petits peuples, sont comme une monnaie d'échange dont on peut se servir pour maquignonner n'importe quelle tractation. Nous sommes en train de conclure un marché avec l'Allemagne, mais les apports ne sont pas encore bien égaux: qu’à cela