La Serbie

me Année. — No 20

Prix du Numéro : 10 Centimes

Genève, Samedi 18 Mai 1918

RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève Téléphone 14.05 :

Paraissant tous les Samedis

La Serbie et l'esclavage roumain

Le traité de Bucarest de 1918 complète

dignement le-traité de Brest-Litowsk. Tandis.

que ce dernier avait gardé quelque apparence d'un traité de paix, le traité de Bucarest outrepasse, par son cynisme affiché, les prévisions les plus pessimistes sur les exigences allemandes. S'il restait définitif ce traité signifierait simplement la fin de l'indépendance roumaine. Les Allemands ont démontré encore une fois qu'ils n’ont rien appris dans cette guerre. Par leur façon d'égorger les peuples, tout en se posant en artisans du Droit et de la Justice, les puissances centrales élargissent consciemment l’abime qui les sépare des civilisés La guerre en devient encore beaucoup plus sérieuse. La force brutale est dangereuse, prête à vous assommer si vous lui résistez, mais le danger est doublé lorsque l'esprit qui commande la force manifeste des détours et des fissures contraires à l'idée même de la morale. Ce que les Allemands appellent la paix de Bucarest n'est que la caricature de la paix et il n'y a que l'hypocrisie allemande qui ose donner à cette violence le nom de (traité ». À cette atteinte scélérate à la liberte d'un peuple sans défense, le monde civilisé saura répondre comme il convient. Les vaillantes armées alliées qui luttent héroïquement pour la liberté du monde entier briseront aussi les chaînes de l'esclavage roumain, et la Roumanie sera relevée, à côté de la Belgique et de la Serbie: La foi dans cette libération c'est toute notrè vie, et nous tenons à le proclamer à “haute voix, et à ce moment même où l'ennemi dicte à nos voisins et alliés ses conditions impudentes.

L'acte germanique de Bucarest ne fera que raffermir notre volonté de tenir jusqu'au bout. Nous ne nous sommes jamais livrés aux illusions de croire que l'Allemagne et l’Autriche-Hongrie alliées avec deux tribus tourano-mongoles, useraient d'une clémence quelconque envers les faibles. Si le peuple serbe a accepté la lutte inégale, sacrifiant les meilleurs de ces fils, il l'a fait dans la conviction que l'autre voie l'aurait conduit à l'esclavage et, pour les Serbes, d’après l’un de leurs proverbes nationaux, la mort même est préférable à l'esclavage.

Les clauses de l'acte germanique de Bucarest donnent une idée de ce que les AustroMagyaro-Germano-Bulgares auraient fait avec

la Serbie. En lisant cette série de stipulations

éhontées, nous comprenons les propos des diplomates austro-allemands en 1914, qui assuraient à Londres, à Paris et à Pétrograde que l’Autriche-Hongrie n'entend nullement toucher à l'indépendance et à l'intégrité de la Serbiel On ne concevait pas alors pourquoi la Monarchie, poussée par l'Allemagne, insistait autant sur la guerre avec la Serbie, lorsque d’après les déclarations de ses représentants, on ne voulait porter aucune atteinte à l'indépendance serbe. Aujourd'hui l'énigme est résolue. Les Berchtold, Tisza, Forgach, Burian, Bethmann et consorts préparaient aux Serbes un traité de Belgrade pareil à celui de Bucarest. Le comte Berchtold au retour de Belgrade, anno 1914, aurait été salué à Budapest de la même façon que fut salué le baron Burian au ‘retour de Bucarest, par le maire de la capitale magyare : & Avec joie et satisfaction tournonsnous nos regards vers le souverain qui à compris l'esprit du temps et qui veut arriver à la paix sur la base des libertés démocratiques des peuples. Il n’a pas manqué l'occasion qui se présentait pour conclure une paix honorable»! Et le comte Berchtold aurait répondu en 1914, comme le baron Burian a répondu à M. Bar-

czy : « Notre volonté a toujours été de conclure

| une-paix juste et honorable, une paix conciliante

et durable en même temps » (Voir la « Neue Freie Presse » du 8 mai 1918, édition du soir). L'affaire roumaine grâce à la trahison des bolchevikis a réussi, mais l'affaire serbe n'a pas réussi. Les faiseurs de «(paix germaniques » n'ont pas besoin de masques. Il y a longtemps que nous les avons devinés et compris. Îls attendront longtemps la paix de Belgrade. Politicus.

+ Ÿ x

À la séance de la Shoupchtina du 7 avril, un des chefs de l'opposition, M. Drachkovitch, a fait, d'après lé compte-rendu publié par le « Journal officiel» du 4 avril, les déclarations suivantes :

« Nos ancêtres ont eu à subir les mêmes épreuves auxquelles nous sommes soumis aujourd'hui. Ils savaient bien que la lutte était pénible, mais ils n’ignoraient pas que l'esclavage l'élait encore plus ; la lutte est dure, mais l'esclavage est effroyable. C’est pourquoi nous avons préféré la lutte à la servitude ; ni notre peuple, ni personne en Serbie n’a voulu la paix ; aujourd’hui non plus, sous la pression de personne, nous n’acceplerions la paix, car nous faisons la guerre guidés par la conviction que la liberté doit naître de cette lutte. Les bruits, répandus par nos ennemis, que nous désirerions conclure une paix

séparée, sont tendancieux et malintentionnés. |

Monsieur le Président du Conseil a trouvé une expression heureuse en disant que nous ne demandons que ce que l’humanité a déjà octroyé aux particuliers : la liberté. C’est surtout après l'expérience que nous avons faite — après la paix séparée des Russes et des Roumains avec l'ennemi, après celle paix qui a fait perdre à ces deux Etats leur indépendance et qui a rendu leurs peuples mercenaires devant travailler pour

l'armée et la population ennemies — que per-

sonne ne pourra même parler sérieusement d’une paix séparée avec l'ennemi ».

k& propos d'une malveillance

Le rédacteur d'un! almanach serbe, «Prosvela », qui vient de paraître à Genève et dont nous ne nous cecuperons pas, fidèles à motre devise de consacrer toutes nos forces à la lutte contre l'ennemi en éliminant complètement la discussion des quesiicns intérieures, a, bien. voulu parler de La Serbie. Il la qualifie d'organe vfficieux du gouvernement serbe, Lorsque les journaux ennemis, pour affaiblir l'effet de notre action, s’efforçaient de nous présenter comme l'organe d'un gouvernement et Mon pas d'un peuple opprimé, nous n'avons pas réagi, jugeant inutile de répondre à de telles calomnies. Mais la malveillance d'un Serbe me peut pas nous laisser indifférents. Ceux qui lisent notre journal savent fort bien que. La Serbie n'exprime que l'aspiration générale de toute la nation. serbe et qu'elle n'a Jamais pris les allures d'un journal pfficieux, ce qu'elle n’est pas et entend ne pas être.

Rédaction de La Serbie.

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Les Russes dans l’armée serbe

Le colonel Enckell de l'Etat-Major russe, attaché m'litaire russe à Rome avant la guerre, et pendant la guerre, délégué du quartier général russe au quartier général italien, est passé dans l’armée serbe comme cotonel d'infanterie. Le conseiller de légation Strandman, le premier secrétaire de l'ambassade de Russie à Rome, a été reçu dans l’armée serbe comme capitaine d'infanterie. Le prince Ouktomsky, capitaine de Ja garde russe, commandant des troupes russes à Corfou, sera reçu prochaïnemient commandant d'infanterie.

dans l'armée serbe comme£

Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l’Université de Belgrace

A SERBIE

JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

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Yougoslaves, unissez-Vous |

M. Lucien Cornet, sénateur et membre de la Commission des affaires étrangères, a écrit pour lès « Srpske Novine », journal officiel serbe, un -icle intitulé « Yougoslaves, unissez-vous!» et qui a paru le 9 mai en têle de ce journal. Le sénateur Cornet exhorte d’abord les Serbes à consérver leur courage et leur confiance car personne en occident ne songe à les abandonner on à méconnaître leurs droits. Qu'an Radoslavoff ose dire que la Serbie n'existe plus, cela n’a pas d'importance car personne n’y croit — pas même Radoslavof. La Serbie existera tant que la conception du droit existera parmi les hommes, elle renaîtra plus prospère et plus grande car on ne négligera rien pour la récompenser de sa résistance à l'oppression.

Il n'y a plus seulement une question serbe, mais une question yougoslave qui sera résolue tout entière. La chose la plus importante pour arriver à ce but c’est que les Yougoslaves soient unis, car

ce n'est pas seulement*en Macédoine que se livre la lutte pour la Serbie, mais aussi au Parlement de Vienne, au sabor de Zagreb, à la diète de Prague. Les Tchèques donnent aux Yovgoslaves un merveillenx exemple. La force d’aitraetion de leur groupe compact est telle que, bientôt, les socialistes tchèques placeront la question nationale au-dessus de tout. Il importe de s’accorder avec tous les ennemis actuels et virtuels des Habsbourg. Les Yougoslaves doivent tendre la main aux Polonais si mal récompensés pour leur loyalisme séculaire. Il n'y a rien à espérer de Vienne qui sémera toujours la discorde parmi les Slaves pour appliquer le principe divide et impera. C’est pour cela qu’on a donné la province de Cholm à l'Ukraine qui ne l'avait pas demandée. L’ennemi des Slovènes, Croates et Serbes est le même et le problème à résoudre est partout le même. Tous doivent s'élever unis contre l'ennemi du genre humain. »

Les deux paix de Bucarest 1913 et 1918

Le 22 juin 1913, le gouvernement bulgare, présidé par M. Daneff, faisait publier un communiqué disant que le cabinet aurait décidé de soumettre les différends avec la Grèce et la Serbie à l'arbitrage du tsar de Russie, et que le ministre-président Daneff se rendrait à cet eflet à Pétrograde.

Le 27 juin, au parlement serbe, M. Pa-

“énitéh avait prononcé un long exposé disant

que le gouvernement serbe acceptait l’arbitrage du tsar russe. Trois jours seulement après cette déclaration, l’armée bulgare, sur l’ordre de son commandement en chef, attaqua la Serbie et la Grèce, dans la nuit, perfidement, et sans aucune déclaration de guerre. La lutte fut violente mais courte, et l’agresseur bulgare, après l'insuccès de son plan, demanda la paix. Les quatre Etats balkaniques, menacés également par la politique pro-germanique des dirigeants de Sofia, espéraient que la Bulgarie, après l’insuccès de cette politique de servage, reviendrait à elle-même, et qu’elle cesserait de servir les intérêts de Vienne et de Berlin pour adopter, à l'instar de ses voisins, la politique de solidarité balkanique, une politique qui exclut, essentiellement, toute hégémonie particulariste. Pour faciliter ce retour, les quatre alliés avaient tout de suite accepté la demande du roi de Bulgarie de cesser les hostilités, ne voulant pas exposer, par une entrée triomphale de leurs armées à Sofia, le peuple bulgare et son roi à une humiliation qui aurait pu, dans la suite, rendre plus difficile le rap-

-prochement et la réconciliation désirés.

Guidés par les mêmes considérations, les

alliés balkaniques se montrèrent envers la

Bulgarie, pendant les négociations de paix à Bucarest, d’une clémence et d’une indulgence remarquables. On ne demanda aux Bulgares aucune indemnité, aucune réparation. La Serbie ne demarda pas même les parties serbes dû royaume de Bulgarie. Les Grecs consentirent à ce que la Thrace du sud, avec le fort dé Dédéagatch, fut attribuée à la Bulgarie, quoique ces territoires soient habités par les Hellènes. Obtenant presque toute la Macédoine orientale, avec une large sortie sur la mer Egée, la Bulgarie pouvait, sans peine, Supporter la rectification de frontière en Dobroudja, en faveur des Roumains. Economiquement émancipée des Détroits, considérablement enrichie par la fertile Thrace, la Bulgarie, malgré son attaque traîtresse, sortait agrandie, et il ne dépendait que d’elle d'obtenir d’autres avantages encore plus considérables. Tout ce que la Serbie et l’Europe démocratique demandaient aux Bulgares,

c'était de pratiquer une politique bulgare, c’est-à-dire de s'opposer au retour des Turcs en Europe, ainsi qu'à la poussée germanique vers l'Orient. Les Bulgares préférèrent pourtant faire le contraire.

En 1914, le gouvernement de M. Pachitch n'avait pas perdu l'espoir de gagner la Bulgarie à la politique de la concorde bal-

kanique, et-ses ouvertures aux Bulgares,

en automne 1914, et dont l’ « Echo de Bulgarie » lui-même parlait l’autre jour, visaient manifestement ce but. En 1915, la Serbie, guérit de cette illusion, ne cessait pas de donner des avertissements à la diplomatie alliée pour l’engager à ne pas croire aux paroles bulgares et à considérer plutôt les actes de Sofia. Peine perdue. La Serbie tut attaquée par la Bulgarie au moment le plus critique de son histoire, lorsque les deux Empires germaniques l’assaillaient au nord et à l’ouest, pour briser la barrière serbe qui leur fermait le chemin vers l'Orient. La Serbie succomba, mais, chose étonnante, le mirage bulgare n’en devint pas moins fort. Les événements précédent l'intervention roumaine en août 1916 l'ont démontré d’une façon persuasive.

Tandis que Simon Radeff à Bucarest et Radoslavoff à Sofia, entretenaient la crédule diplomatie roumaine dans l'illusion que la Bulgarie, en échange de la promesse de quelques avantages, assisterait impassible à l'avance de l’arinée roumaine en Transylvanie, l'état-major bulgare préparait, suivant les instructions de l'état-major allemand, une attaque soudaine contre la Roumanie. Le même jeu se déroula comme en 1915 avec la Serbie, avec la seule difiérence que les Bulgares réussirent cette fois-ci à tromper non seulement les Alliés, mais aussi et surtout les Roumains eux-mêmes. La Roumanie, malgré tous les revers subis aurait pu se relever si la trahison des maximalistes ne l'avait pas obligée, le mois passé, à capituler.

L'acte de Bucarest de 1918, comparé au traité de Bucarest de 1913, est très instructif. En 1943, les alliés balkaniques, règlant eux-mêmes leur sort, cherchaient à établir entre eux l'équilibre et à satisfaire ainsi les intérêts vitaux de chaque peuple. En 1918, ce sont les puissances germaniques qui imposent un état de choses conforme à leurs intérêts. La Bulgarie elle-même, malgré tous les cris de joie poussés par la presse bulgare, à joué à Bucarest un rôle peu enviable. Le fort de Constanza est déclaré fort allemand, le Danube recevra les navires de guerre allemands, sans parler de la pénétration commerciale allemande ; l’Au-