La Serbie

(llme Année, — No 38

RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève Téléphone 14.065 -

L'Autriche se désagrège | T° °°"

Prix du Numéro: 10 Centimes

JOURNAL POLITIQU

Ï

: | hé 5 crie Paraissant tous les Lundis

Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l'Université de Belgrade

L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie ont demandé l'autre jour un armistice, se déclarant disposées à traiter la paix sur la base du programme de Wilson. Nous ne voulons pas parler de l'Allemagne, ni de son prince « parlementaire > qui, à en juger d'après sa correspondance avec le prince Hohenlohe, serait un gage trop faible pour la démocratisation du peuple et du gouvernement allemands. Ce qui nous intéresse ici, c’est l'illusion de l'autre compère, de l'Autriche, qui croit à la possibilité d'une paix quelconque conclue avec les dirigeants magyaro-allemands. La préface donnée à l'offre du comte Burian, par les députés slaves au parlement de Vienne, le jour même de l'expédition de la note pour l'Amérique, n’estrien moins que la négation pure et simple de l'Autriche:Hongrie. Aucune diplomatie ne pourra changer ce fait, et moins que personne les «zéros autrichiens » le pourront, comme le député Daszinski s'est exprimé dans son dernier discours.

Le député Stanek, parlant le premier, au nom des Tchéco-Slovaques, a tout à fait nié le droit des Habsbourg de faire la paix au nom des peuples asservis. « Depuis longtemps, a dit M. Stanek, nous gémissons sous le joug autrichien. Pas une goutte de sang n'a été versée par nous volontairement pour les puissances centrales. Nos congénères ont cependant formé auprès de toutes les armées de l'Entente des légions tchéco-slovaques et c'est là que nos hommes ont fait couler leur sang pour les idéals les plus élevés de l'humanité. Vous ne parviendrez plus à redresser l'Empire du moyenâge. Personne ne pourra plus contenir la marche victorieuse-du nouvel esprit démocratique, auun gouvernement autrichien, aucun gouvernement ‘allemand et surtout aucune diplomatie professionnelle, encore moins la note du comte Burian, ni aucune autre tentative des puissants et des autocrates germano-magyars. Le Prési-

’ dent Wilson a justement remarqué récemment

qu'il ne veut pas causer avec l'Autriche même dans le cas où le gouvernement autrichien accepterait les 14 points de son programme. Il n'est pas du tout étonnant qu'on ne veuille plus prendre au sérieux les puissances centrales et leurs dirigeants. Vos offensives pacifistes sont inutiles : personne ne veut négocier avec vous. Aussi les peuples d'Autriche-Hongrie en ont assez des pourparlers avec vous parce qu'ils savent que vos engagements ne sont pas tenus. Votre-but seul-et-unique reste toujours le. méme : l'hégémonie magyaro-allemande, la violence sur des peuples non-allemands et nonmagyars. Pour un tel but, vous pouvez vous chercher des alliés ailleurs mais pas chez nous. Le sort de la tyrannie allemande et magyare sera décidé plus tôt que vous ne le croyez. Nous voulons réaliser le front des trois Etats slaves : de Danzig par Prag jusqu'à l'Adriatique. La clique arriviste magyare a l'audace de songer à étendre son système d'esclavage aussi sur la Bosnie. Pour mesurer la frivolité de notre gouvernement les moyens de la politique ne sont plus suffisants, c'est la psychopathie et la criminalité qui doivent s'en occuper. Nous déclarons encore une fois, notre solidarité complète avec nos frères yougoslaves, qu'ils soient à Sarajevo, à Mostar, à Ljubljana ou ailleurs. Une Yougoslavie libre, une grande Pologne indépendante et un Etat tchéco-slovaque sont déjà en train de se faire, non seulement unis par la communauté d'intérêts économiques mais aussi rangés épaule contre épaule dans un méme front de lutte. L'Entente a reconnu les brigades tchéco-slovaques comme une pulssance belligérante. On nous a demandé d élever une protestation contre cette déclaration de l'Entente mais nous n'avons pas voulu le faire. Je l'ai dit ouvertement au Ministre président et si vous voulez je le dirai aussi à l'Empereur.

« Vous n'avez pas voulu nous admettre aux

pourparlers de paix et maintenant vous aurez quand même contre votre volonté les représentants tchèques à la conférence de la paix et notamment les représentants des brigades tchéco-slovaques quoique celles-ci fussent appelées parle chancelier allemand des « canailles ». Mais avec ces « canailles» vous serez obliges de négocier la paix et c'est pourquoi nous ne voulons pas négocier avec vous. Cette question

ce n’est pas en Autriche qu'elle sera résolue,

mais ailleurs. Si vous acceptez les conditions de Wilson, si les représentants autorisés du peuple allemand et non pas votre bureaucratie déclarent que ces conditions sont acceptées par vous, par Îles représentants du peuple librement élus, ce n'est qu'alors que vous pourrez avoir la paix sur la base de ces formules. Autrement non ».

Le député Korochec a fait au nom des Yougoslaves, une déclaration semblable : «Les représentants des Slovènes, des Croates et des Serbes, a déclaré M. Korochec, demandent que la question yougoslave ne soit pas résolue à la conférence de la paix sans la participation de tous les Yougoslaves. D'après le droit de libre disposition des peuples, une représentation nationale particulière doit être élue à ce sujet. Les idées du ministre-président Hussarek ne différent pas dans la question yougoslave de celles de son prédécesseur le Dr Seidler. Les Yougoslaves remercient poliment M. Hussarek de toute autonomie. M. Hussarek arrive trop tard avec ses propositions. Par tous les pays yougoslaves retentif un seul cri: la liberté complète ou la mort! Il n'y a aucun artifice au monde qui pourrait séparer les Serbo-Croates des Slovènes, il n'y a non plus aucun moyen de détacher les Slovènes des Serbo-Croates. À tous ceux qui se sont occupés ces temps derniers de la question yougoslave nous n'avons qu'a donner cette seule réponse : laissez notre sol et notre nation en paix, nous saurons arranger notre maison nous-mêmes. Dans la question de notre union nationale, nous mettons toute notre confiance dans notre force intérieure, dans la force de notre idéal et nous comptons aussi sur l'appui de nos nations sœurs des Tchèques et des Polonais ».

Le député Spintchitch (Croate), s'est exprimé aussi dans le même sens.

Les députés polonais Daszinski, Tertil et Glombinski ont formulé, pour la Pologne, les mêmes réserves et prononcé la même condamnation de l'Autriche.

En présence de cette volonté irréductible des peuples slaves d'en finir enfin avec l'édifice vermoulu des Habsbourg, les Alliés pourraientils songer un seul instant à causer avec le fonctionnaire Burian ? C'est une question à laquelle il n'y a qu'une réponse : non, non et non !

née ee TEEN

Le Prince Alexandre de Serbie promu général

En suite des victoires sur le front serbe Sa Majesté le Roi Pierre a promu son Allesse le Prince Héritier Alexandre au grade de général. Le gouvernement serbe avait soumis la proposition y relative dés le mois de juin, mais sur le désir du Prince Alexandre, la premiotion fut ajournée après la victoire.

Dans l'ordre du jour à l'armée son! relatés les mérites du Prince Alexandre qüi durant tout le cours de la guerre ne quitta jamais son armée el son rôle fut prépondérant pendant la péricde douloureuse de retraite de 1915. Il est mentionné particulièrement qu'il affronta la traversée de l’AIbanie malgré une maladie grave et lopération subie. auparavant.

L'opinion publique et l’armée serbes accucillent avec la plus profonde sympathie cette décision du Roi Pierre et du gouverneiment serbe, car il n’est pas de Serbe qui n’ait été témoin des actes de dévouement du Prince à la cause de la Patrie.

À

C'est le « Jug » d'Ossiek, du 26 septembre, qui explique le mieux ce qui s'est passé à Sarajeco entre le comte Tissa et les délégués de Bosnie-Herzégovine, qui ;se sont prononcés jour l'union nationale :

«L'ancien député au Sabor de Bosnie D' Joso Sunaritch, venu aujourd'hui à Zagreb, a raconté aux journalistes l'accueil que le comte Tissa a fait à lui et à ses collègues chargés de lui remettre le mémorandum. Le lendemain de cette remise, qui eut lteu par l'entremise de Sola, celui-ci est venu aecompagné de Jojkitch, frère Ikith, Sunaritch, Jelaoitch, . Dimovitch pour chercher la réponse. Le oomte Tissa, en untforme et avec toutes ses décorations, 8e tenait debout près de la table et ne les invita même pas à s'asseoir. Il déclara d’abord avec emphase qu’il avait lu le mémorandum et qu'il ne pouvait être question de convoquer le Sabor de Bosnie, le Reichsrat autrichien suffisant déjà à couorir la monarchie de-honte devant l'étranger. On ne peut parler non plus d'unité avec les Slevènes car leur D' Korosec est un agent de l'Entente et les Slovènes ne peuvent être tolérés dans

UEtat hongrois. Il faut que. les Croates se !

séparent des Serbes s'ils tiennent à leur eæistence. La Serbie serà si petite après la guerre que la Bulgarie pourra, quand elle le voudra,

E HEBDOMADAIRE

isza

Gfr. — par an .

Suisse... je Autres pays. Ofr. —

| ABONNEMENT }

Q 2 furioso »

la réduire en mielies. Le mémorandum des chefs bosniaques respire l'odeur de Prague et de Lioubliana. L'unité des Croates, Serbes et Slovènes est en opposition acee l’organisation de [a monarchie et ne peut être accordée, de mème

qu'ilne saurait être questien delibre disposition. .

L'Etat yougoslave n'est qu'un fantôme tant que la Hongrie existe.

En entendant la reponse des Croates et des Serbes à ses paroles, Tisza a été pris d’une telle fureur qu’il a commencé à frapper la table du poing et à crier: Si nous devons périr, je déelare alors que nous sommes maintenant assez forts pour, avant notre ruine, vous détruire tous. C'est un écrit imbécile, criait le comfe Tissa en frappant sur le mémorandum.

Les hommes politiques de Bosnie, n'ont pas voulu répondre à de tels arguments; ils ont tourné le dos au comte Tisza et sont partis tandis qu'il leur eriait encore: « C’est ce que vous pouvez faire de mieux ».

Le comte Tissa aura encore le temps de se montrer furieux, Ce n'est que le commencement et on pourrait lui conseiller de résercer sa colère pour plus tard lorsqu'on commencera à dépouiller la Hongrie des terres étrangères qu’elle s'est appropi'iée.

UK

anniversaire douloureux

« La crise bosniaque » par À. Gauvain, un ami des opprimés

_ L'acte criminel qui fut le prélude cerlain de la guerre européenne fut commis le 7-oclobre 1908: l'annexion par l’Autriche de la Büsnie-Herzégovine. Nous touchons au dixième anniversaire dé ce « mauvais coup diplomatique », de ce viol flagrant du droit international qui restera le démenti le plus cynique du principe des nationalités... A chaque retour de la date fatale, la plaie cruelle saigne de nouveau au cœur des Serbes et leur pensée émue se reporte vers les deux hommes qui; en France, élevèrent la voix en faveur des viclimes: Jean Jaurès et Auguste ‘Gauvain, Leur mérite est d’autani plus grand à nos yeux que peu d'hommes joignirent leurs protestations à celles des royaumes serbes indépendants : la Serbie et le Monténégro, L'Europe; en effet, se désintéressait à cette époque du sort des petits peuples des Balkans que lAutricheHongrie absorbaït peu à peu; elle ne comprenait pas le danger terrible que Pavidité des Empires Centraux faisait courir à la paix du monde; elle se laissait séduire

par la «liberté d'agir » que la Triplice accordait respectivement à la France pour

le Maroc, à l'Angleterre pour. l'Egypte et à la Russie pour les détroits.…. L'opinion publique admetttait alors ce trafic des peuples de gouvernement à gouvernement. C'est ainsi que; comme le remarquait Jaurès. le ministre des Affairès Etrangères de France disait à l'Autriche: « Nous vois passons la Bosnie-Herzégovine à condition que vous nous passiez le Maroc; » landis que la Russie déclarait: « Je tautoriserai à annexer la Basnie-Herzégovine à condition que tu me permettes d'établir un débouché sur la mer Noire à proximité de Constantinople, »

Dans Pindifférence générale qui sanelionna le crime de l'Autriche, J'aftitude dénéreuse du grand leader socialiste ne fut pas pour nous surprendre; mais combien nous fut plus sensible encore. celle que prit alors M. Auguste Gauvain! A l'automne 1908. cet ami de tous les: opprimés revint à Paris après quinze années d'Orient pour prendre la direction de la politique étrangère au « Journal des Débats » La question d'Orient se rouvre, la crise bosniaque éclate. I! commença une campagne pour le triomphe dn droit et de la justice, pour la libération de: tonus les peuples opprimés, Avec Ie sentiment intime que les intérêts français dans les Balkans s'accordent avec l’ardent désir de liberté de tous les peuples que l’AutricheHongrie opprime, il suit de près Is ma-

marmotte memane terre hear 70e TE RL

|

nœuvres des Habsbourg dans cel Orient qu'il connaît si bien; il! les dévoile avec une habileté toute diplomatique et tes stigmalise avec éncrgie, « Peu de personnes, dit-il dans la préface de son fivre « La crise basniaque», se rendaïent compte des combinaisons qui s'élaboraient en Germanie sous le voile de la courtoisie officielle. On prit pour de l'or pur les fausses pièces ae la Wilhalmsirasse et du Baïlplatz. C’est ainsi que nous arrivâmes à l'éé de 1914 avec la légende d'un Guillaume Il pacifique et d’un, François-Joseph; vénérable père de ses peuples. »

Combien nous devons aujourd'hui nous féliciter que M. Augustte Gauvain ail eu l'heureuse idée de réunir et de publier en un livre tous les articles qu'il avait écrits il y a dix ans pour la défense de notre cause. Ils sont d’une: actualité passionnante malgré le passé déjà lointain auquel ils se rapportent el prouvent avec quelle ciairvoyance M. Gauvain sul dénoncer jadis les manœuvres périleuses des Empires Centraux. La persomnalilé de l'auteur spécialisé depuis longtemps dans les questions d'Orient. et la hardiesse: de sa pensée n'ont pas manqué d'attirer et de retenir l'attention du publie, N'est-ce pas un fail rare que des articles conservent après un si grand laps de temps un intérêt d'actualité si puissant que en se demande en lisant « La crise bosniaque » s'ilest question de année 1908 ou 1918?

#e

Le mérile de M. Auguste Gauvain est d'avoir compris dès le début que Pannexion de la Bosnie-Herzégovine n'élail pas une opération diplomatique simple, mais qu'elle tendail beaucoup plus loin, vers la domination des Balkans, vers la pénétration en Orient, La plus grande partit des hommes d'Etat occidentaux se résignent tt laissent les mains libres au « brillant second » de Guillaume IT Seul, M. Gauvain écrit courageusemient: « Il était. inévitable, prévu que la proclamat'on de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine provoquerait l’exaspéralion des Serbes. On dèra peut-être que cette exaspération est un peu puérile puisque les Serbes ne pouvaient pas se faire illusion sur le sort des deux provinces, En effet, ces illusions ne sauraient être bien grandes, Toutefois elles étaient une partie de l'âme serbe eltemême, Chimére, peut-être, chimère à la réalisation de laquelle on n'osait croire: mais chimère éntrée dans la miselle du peuple, On était sûr. en touchant d'une

V4