La Serbie

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Prix du Numéro : 10 Centimes

Genève, Lundi 9 Décembre 1918

RÉDACTION et ADMINISTRATION @, rue du XXXI Décembre - Genève ‘ Téléphone 14.6

Contre le particularismel!| Le cynisme

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Paraissant tous les Lundis

Quoique terrassés nos ennemis ne désarment pas. La nouvelle de l'appel du prince Alexandre Karageorgévitch à la régence de l'Etat des Serbes, Croates et Slovènes, produit une véritable consternation dans certains milieux intéressés, qui ne peuvent pas encore se réconcilier

avec l'idée de l'union sudslave.

N'étant plus en état d'empêcher par force l'œuvre d'union nationäle courageusement entreprise par la Serbie, nos adveïsaires s’appliquent maintenant à troubler par des intrigues,

* l'harmonie et l'entente intérieures dont notre

peuple a tellement besoin aujourd'hui. On ne

recule devant aucun moyen pour semer de la

méfiance et provoquer des dissensions, dans l'espoir d'affaiblir les liens de sang et d'intérêt

qui unissent le peuple serbe, croate et slovène.

L'arme la plus facile et la plus maniable, c'est le contraste artificiellement construit et häbilement grossi entre Serbes et Croates, entre serbisme et croatisme. On part de l'idée inexacte que les trois branches de notre peuple, serbe, croate et slovène, diffèrent profondément l'une de l'autre, et l'on s'efforce de prouver que l’union intégrale, l'union complète se ferait au préjudice de l’une ou de l’autre partie de la nation. Il y a parmi nous des gens crédules qui tombent dans ce piège et qui s’inquiètent du sort que l'avenir leur réserve dans la patrie commune. Ils sont pourtant peu nombreux. La grande majorité du peuple voit clair et ne se laisse pas tromper par des arguments fallacieux tirés de l'arsenal austro-magyar.

L'union nationale accomplie sur la base d'égalité absolue exclut par sa nature même,

_ toute hégémonie d’une partie de la nation sur

d'autres parties. Cette union suppose la formation du gouvernement composé des représentants de toutes les branches de la nation. Le parlement élu au suffrage universel représentera la volonté de la nation entière, et le gouvernement qui sortira d'un tel parlement sera le gouvernement des Serbes, Croates et Slovènes. La sélection dans les parlements se fait généralement d'après les critères d'ordre social; l'histoire du parlement serbe, surtout celle des dernières années le prouve d'une façon indiscutable. Or, la seule différence qui existe entre Serbes et Croato-Slovènes, c'est la différence de religion, mais nos partis politiques sont exempts de toute empreinte religieuse. L'exemple de la coalition serbo-croate en Croatie parle de lui-même. En Croatie, les Serbes orthodoxés et les Croates catholiques ont proclamé bien avant la guerre européenne l'unité ethnique serbo-croate. Les fruits de cette politique nationale ne se sont pas faits attendre, Or, dans l'Etat des Serbes, Croates et Slovènes, l'église catholique aura la même situation que l'église orthodoxe et inversement, Nous ne suivrons pas la suggestion autrichienne de nous diviser d’après les confessions. L'église restera en dehors des discussions politiques.

Le régent-roi Alexandre sera le roi des Serbes, Croates et Slovènes. À notre avis, il doit être couronné comme roi aussi bien des Serbes que des Croates et Slovènes. Aucun patriote sudslave n'aura à faire des objections contre la tendance tout à fait naturelle de conserver les trois noms historiques de notre peuple, tous les trois respectables au même titre. Ce n'est pas du particularisme que de vouloir conserver son nom consacré par l'histoire. Mais ce qui est parliculariste et partant nuisible à la nation entière, c’est de vouloir affaiblir l'unité politique par une organisation fédérative qui au lieu de nous unir, menacerait de nous

diviser et séparer l’un de l’autre. Nous pensons qu'une large décentralisation administrative, dotée de tous les caractères de self-government, est la meilleure solution de notre problème intérieur, Cette décentralisation existe déjà de fait, et il faut la conserver partout où cela est possible. L'Assemblée Nationale en dira le dernier mot.

Le serbisme et le croatisme sont des notions créées par nos ennemis. Ce qu'il nous faut, c'est le nationalisme unique, basé sur l'égalité et le respect absolu de toutes les parties de notre nation. Les intérêts politiques, économiques et culturels de la nation intégrale- ne seront sauvegardés que par la collaboration Intime de tous.

Le peuple serbe, croate et slovène a besoin d'un système de gouvernement qui permet le libre épanchement de toutes les forces individuelles et sociales. C’est le régime du gouvernement unitaire et foncièrement démocratique.

Ce système, que l’on pourrait appeler national, loyalement appliqué, écarte le serbisme, le croatisme et le slovénisme. Il en est la syntèse et non pas le contraste. Lui seul peut garantir la sécurité intérieure et extérieure du pays.

L. M.

L Batrevue du prince Alexandre de Serbie

avec M. Teessitch-Pauitchitch

Le DrTressitch-Pavitchitch, délégué du Conseil National de Zagreb, est rentré le 21 novembre de Belgrade, où il était en mission et les « Novosti » de Zagreb, du 22 novembre, rapportent le récit suivant sur les conférences qu'il a eues avec le prince Alexandre de Serbie:

«S. À. R. le prince héritier, a déclaré M. Tres sitch, m'a reçu avec celte amabilité incomparable, innée chez lui qui charme tous ceux qui l'approchent, sans distinction, les Français, les Anglais et les Américains, les républicains et les monarchistes. Je ne peux pas naturellement vous raconter tout ce dont nous avons parlé; celte divulgation serait prématurée, mais je puis dire que la conversation a roulé sur toutes les questions d'actualité. Le prince c'est d'abord renseigné sur l'Etat de notre flotte de guerre et sur la manière dont elle a passé dans nos mains, puis sur mon voyage à Corfou et sur mes opinions. Bref, il m'a in terrogé sur tout ce qui intéresse la politique intérieure et extérieure de notre nation. Du reste, je peux vous dire qu'il possède sur tous les points des renseignements de la plus parfaite exactitude.

Il aime les Croales autant que les Serbes et que les Slovènes, je dirai même qu'il ressent pour nous une sympathie particulièrement vive. I] sera un roi impartialement dévoué au bonheur des Serbes, des Croates et des Slovènes. Il protégera toutes leurs particularités religieuses, toutes leurs différences de langue et de cou-

‘fumes. Bref, sous son règne démocratique, les

urs et gouvernants, c'està dire que le peuple se gouvernera lui-même dans son parlement commun et dans les diètes autonomes et que le roi sera seulement l'exécuteur et le gardien suprème des lois, le représentant de l'Etat et de son unité. Pour conclure, je déclare qu'après avoir entendu l'exposé des théories de S. A. R. le prince héritier, moi, dont la vie et les actions prouvent le républicanisme, je n'ai pas de honte à incliner mes principes devant lui, convaincu qu'un roi possédant cette hauteur de vues peut, sul, arracher notre pays aux appétits des étrangers qui s'ax ancent contre nous de tous cotès et s'emparent déjà de tout ce qu'ils réussissent à saisir, Seul, grâce à son libéralisme clairvoyant, grâce à sa volonté de maintenir une union et une égalité indestructibles, il peut résoudre les difficultés de la situation et sauver notre nation. »

députés seront législate

Rédacteur en chef : Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à

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L'ancien chancelier de l’Empire allemiand, M, Bethmann-Hoïlweg a fait devant un rédacteur de la « Deutsche Aligemeine Zeitung » des révé:alions complémentaires ser l'origine de Ia guerre. CeS aveux sont d'autant plus importants qu'ils expliquent aussi les causes de l'agression austro-allemande. Voici ce que M. Bethmann dit à propos de la décision de l'Allemagne de soutenir l'Autriche même dans le cas d’un

‘conflit mondial a « Frankfurier Zeitung »

du 27 novembre):

« Quelle a été la situation politique générale? Aujourd'hui personne ne voudra plus nier que la grande politique de la France, depuis 18/0 visait la réacquisition de lAlsace-Lorraïne, el qu la politique de la Russie, surtout depuis la guerre avec le, Japon, était dirigée vers la conquête de Constantinople. La Russie, dans la poursuite de ses plans, se servait de la Serbie et travaillait systémaliqueent à miner et à ébranler la position de lAutriche-Hongrie dans les Balkans. Les’ deux puissances poursuivaient donc des buts qui ne pouvaent être réalisés que par la guerre, Toutes les deux jouissaient d’un appui décisif de ‘la, GrandeBretagne. Il est done évident que la situation de l'Allémagne devenait d'autant plus dangereuse que la position de son allié aufrichien affaiblissait par suite des mené°s serbes, soutenues par la Russie. Il faut se rappeler aussi que le grand programme du- président Wilson sur la Ligue pacifique des Nations et qui attend encore aujourd'hui sa réalisalion n'avait en ce temps là aucune valeur. L’imposition d’une auiolimitation ‘nationale dans l'intérêt de la naix Inéblait gas considérée comme une

norme généralement admise dela Morale |

internationale; la volonté de domination passait pour une vertu nationale el la guerre fut considérée comme son moyen loyal. Je pense que la guerre r'ussO-j a ponaise, la guerre africaine et la guerre italienne dans le Tripoli sont des exemples classiques de cette idéologie. L’Allemagne était obligée de compter avec cet état de choses si ‘elle voulait ap récier à leur juste valeur les menées serbes contre V'Autriche-Hongrie. Et c'était la raison. la seule raison, pourquoi l'Allemagne

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

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de Bethmann-Kollweg

avait approuvé l’action autrichienne contre la Serbie. Si l'Autriche avait toléré tranquillement que lon continuât à miner @t à ébranler sa position, l'Allemagne se serait trouvée pour ainsi dire toute seule. sans alliés, en face d'une politique de revanche française appuyée par l'alliance russe et l'amitié britannique. »

Bethmann-Ho!weg couronne par cette déclaration toute son activité politique. Jamais en effet aucun Allemand n'a développé avec plus de cynisme la théorie féroce de la guerre préventive. Cel ancien chancelier de l'Empire alltmand est un homme extrêmement dangereux. On voit aujourd'hui par quels criminels l'Allemagne a 6.6 gouvernée pendant plus d2 quarante ans. De cœur léger et dans le but unique de renforcer sa silualion popre et la situation de son allié austro-hongrois l'Allemagne s'é.ait donc décidée à écraser la Serbie! Et la diplomatie ententiste s’appliquait, en 1914, à faire exercer par Berlin une action de modération et de conciléation à Vienne, tand's que c'était VAL lemagne qui non seulem-nt avait d'avance approuvé la décis'on du. cabinet de Vienne mais Cétait elle précisément qui a poussé à la guerre! La clique de Berlin et celles de Vienne et Budapcst avaïent combiné qu’il leur conviendrait le mieux danéantir le petit royaume serbe, Avec une hypocrise ‘inouie et un cynisme sans nom, on est jeté dans l’entreprise sanglante, parce que comme Bethmann-Ho'weg nous l'explique, la Morale internationale ne s0pposait pas d'une façon absolue à l’exlension de la domination d’un peuple sur les autres peuples. Et puisque la guerre fut considérée comme un moyen « loyal » pour réa'iser celte dominalton, traitée par f. Bethmann-Holweg comme une « vertu nationale », quoi d'étonnant alors dans la démarche autrichienne et pourquoi ces cris d'indignation, semble voulor nous demander l’homme que le Kaiser à désigné récemment comme l’auteur principal de la guerre mondiale.

Une Haute Cour Internationale pour tous les coupables s'impose au plus vite. Il y a en effet des actes dont seu!s ies tribunaux doivent s'occuper. Bethmann-Holweg s'esl jugé lui-même.

QUO VADIS ITALIA ?

L'occupation par l'Italie du littoral yougoslave de l'Istrie et de la côte dalmate est plus qu’une faute, c’est un crime.

Pour bien comprendre l'attitude actuelle de l'Italie et l'état d'esprit de ses dirigeants, il faut suivre l'évolution accomplie dans la mentalité italienne depuis un demi siècle. Déjà avant son entrée dans la Triplice, l'Italie avait dévié de la ligne tracée par les fondateurs de son unité.

Les hommes au pouvoir cessèrent de s'inspirer de l'esprit de Mazzini, de Cavour, de Victor Emmanuel et de Garibaldi pour se tourner vers d’autres idoles représentant en Europe, la politique impérialiste, politique de la force brutale qu'on nomma à tort la politique « réaliste ». Bismark et Kalnoky, Tisza et Andrassy furent pris alors pour modèles en Italie. Aussi arrivat-il que l'Italie, pays de Cavour et de Mazzini, quelques années seulement après Magenta et Solferino, assista impassible a l'écrasement de cette même France qui l'aida à réaliser son unification. Mais cette politique de l'égoisme sacré n’atteignit son point culminant que lors de l'entrée de l'Italie dans la Triplice. La folie d’impérialisme s’empara alors de ce pays qui, à l'instar de l'Autriche après 1848, étonna le monde par son ingratitude lorsqu'on apprit le projet ourdi p#r Crispi. Là il s'agissait d’une attaque brusquée contre Ja France afin de la saigner de nouveau au profit de l'Allemagne et de ses alliés. Ge projet fut dénoncé par Bismarck lui-même qui en

profita pour compromettre l'Italie et l’obliger ainsi de se ranger définitivement à ses côtés.

La politique déplorable de Crispi eut une triste fin avec la défaite en Abyssinie qui faillit ruiner le pays moralement et économiquement. L'expédition de Tripoli fut un des der_niers vestiges de cette politique impérialiste. Grâce aux eflorts des générations nouvelles, l'Italie abandonra enfin la Triplice en se rangeant aux côtés des puissances qui soutenaient les principes auxquels l'Italie devait sa naissance. Mais alors, même en cette heure suprême, l'attitude de ce pays manqua de noblesse, son entrée en action ayant été précédée d’un marchandage connu sous le nom de «parrechio » et suivi d’un autre connu sous Île nom de pacte de Londres. Aussi, l'action italienne perdit-elle beaucoup de sa valeur morale.

On ne pratique pas impunément trente

ans l’ailiance avec des puissances de proie. On emprunte le plus souvent la mentalité ,de ceux dont on fréquente la société. Ce fut le cas de l'Italie. C'est aussi son châtiment. On y oublia les principes de Mazzini et l'époque de Risorgimento pour se souvenir dé celle de Rome Césarienne et de la république Sérénissime de Venise.

La mauvaise foi de certains hommes politiques italiens rappelle celle des Autrichiens et des Allemands. Ce sont les mêmes théories, les mêmes doctrines et

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