La Serbie

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JVme Année, — No 20

RÉDACTION et ADMINISTRATION 8, rse du XXXI Décembre - Genève Téiéphone 14.05

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Prix du Numéro: #@ centimes

AL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

Paraissant tous.les Lundis

Rédacteur en chef : D' Lazare MARCOVITCH, professeur à l’Université de Belgrade

Genève, Lundi 12 Mai 1919

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Suisse... 6fs. — para !

ABCRAEMENT } Autres pays. Bfr. —

La revanche de la Serbie

Le 7 mai 1919 restera une date mémorable dans l’histoire de notre peuple. Ce

jour-là, les représentants de la petite

Serbie, unis aux délégués des autres pays allliés, se sont rencontrés avec les Allemands pour leur communiquer les conditions de la paix. La part prise par l’armée serbe dans la guerre, donne bien le droit à notre peuple de participer aussi, dans la mesure correspondante, aux honneurs de la victoire. L'armée serbe et les divisions de volontaires serbo-croato-slovènes se sont battues contre les Allemands sur tous les fronts alliés. Leur héroïsme a été bien récompensé par la victoire finale rempor-

£ «téé aussitôt après l’écroulement du front

‘d'Orient, écroulement dû principalement aux actions valeureuses des troupes serbes. De même.que les soldats serbes se sont battus loyalement et honnêtement, de même les représentants politiques de notre nation ont gardé une attitude pleine de dignité lors de ce premier contact avec les ennemis battus. La brillante revanche de la petite Serbie sur la puissante Germanie, n’a été troublée par aucun geste impulsif.

Notre joie de voir les Allemands, d’habitude si arrogants et sipleins de morgue, avouer leur impuissance militaire et accéder en principe aux conditions dictées par les Alliés est d'autant plus grande que nous ne sommes plus la petite Serbie de 1908, de 1912-1913 ou de 1914, mais bien le royaume uni de tous les Serbes, Croates et Slovènes. L'acte de la paix soumis aux plénipotentiaires allemands, est signé par les délégués de Sa Majesté Pierre ler roi des Serbes, Croates et Slovène. En nous présentant devant les Allemands pour leur dicter nos conditions, nous nous sommes présentés comme nation unie des Serbes, Croates et Slovènes.

Cette reconnaissance un peu tardive de notre Royaume n’en sera pas moins accueillie par tout notre peuple par les applaudissements les plus chaleureux. Les Allemands ont trouvé devant eux, non seulement les Serbes de Serbie, mais aussi les fils des peuples qui par leur propre effort et grâce aussi à la victoire alliée, ont réussi à s'affranchir de la domination germano-magyare.

L'Autriche-Hoïgrie n'existe plus, mais l'auteur principal de la guerre, l'Empire allemand, est bien là pour supporter les conséquences de ses crimes prémédités. Le spectacle impressionnant du 7 mai a sans doute évoqué chez les Allemands le souvenir de ces douze jours de 1914 que M. Brockdorff-Rantzau a cru utile de rappeler pour démontrer que l’Allemagne ne niait pas sa culpabilité. Et nous, Serbes, en voyant les Allemands si humbles, si pleins de soumission, nous pensions à ces 48 heures du mois de juillet 1914 dans lesquelles le gouvernement austro-hongrois réclamait la soumission absolue de la Serbie devant les exigences inouïes de l'Autriche. Le 23 juillet, le ministre d’Autriche-Hongrie à Belgrade, comte Giesl de Güieslingen, remettait au gouvernement Serbe l’ultimatum autrichien. Le 25 juillet à 5 heures et demie, le ministre-président Pachitch portait personnellement la réponse serbe à la légation d’Autriche-Hongrie, réponse satisfaisante et qui donnait pleine satisfaction aux exorbitantes : exigences autrichiennes. À peine rentré au ministère, M. Pachitch recevait une lettre

du ministre d'Autriche dans laquelle ce- |

li-ci l'informait que le gouvernement austro-hongrois ne considérait pas la réponse serbe comme satisfaisante et qu il rompait les relations diplomatiques avec

la Serbie. Une demi-heure plus tard, le ministre autrichien quittait, en effet, Bel-

grade et se rendait à Semlin d’où il infor-

mait son gouvernement de la réponse de M. Pachitch ainsi que de son départ de Belgrade. Tout cela était combiné et organisé selon les instructions de l'Allemagne qui tenait les fils du complot dans ses mains et qui repoussait toute médiation auprès du gouvernement austro-hongrois. La guerre devenait ainsi inévitable, et c’est précisément ce que l’on voulait à Berlin.

Aujourd’hui, les délégués du gouvernement de Berlin ont pu constater à Versailles que le monde possédait un souvenir tout à fait frais du grand crime allemand.

Le peuple français a eu l’une des plus belles revanches que l’on puisse imaginer. La paix de Versailles de 1871 sera remplacée par la paix de Versailles de 1919, mais, comme M. Clemenceau l’a bien souligné, les puissances alliées prendront les mesures nécessaires pour que cette seconde paix de Versailles, si chèrement

payée, ne soit pas troublée par de nou- |

velles agressions. La Serbie, elle aussi, a sa revanche, qui n’est cependant pas complète, car les Autrichiens, les Magyars et les Bulgares ne sont pas encore venus à Versailles. Mais leur arrivée est prochaine, et le triomphe du peuple martyr de Serbie sur les agresseurs inaugurera une nouvelle époque de l’histoire des Balkans, Puissent seulement les Alliés tenir ferme devant les exigences des impérialistes italiens et conserver à la victoire son pur caractère de revanche du Droit sur la Force, de la Justice sur le Crime!

L. M.

La réhabilitation de la Serbie

Une erreur très fâcheuse a été commise par la plupart des journaux français et britanniques dans la reproduction du discours du comte Brockdorff-Rantzau. Parlant des causes de la guerre, M. Rantzau a déclaré textuellement ceci: «Niemand von uns wird behaupten dass usw... » c'està-dire : « Personne d’entre nous ne prétendra que le déchaînement de la catastrophe date de l'instant fatal où l'héritier du trône austro-hongrois est tombé sous le coup d'un attentat.» Les journaux français, à l'exception du Temps pourtant, ont donné la version tout à fait contraire de ce passage important: « Personne d'entre nous ne voudra contester que le déchaînement de la catastrophe ne date de l'instant fatal, etc. » Cette erreur a été aussitôt constatée par noire propre rédacteur qui avait assisté à La réunion du « Trianon-Palace » à Versailles, et dont le rapport était conforme au texte authentique, mais mal heureusement elle a eu le temps de faire le jour du monde et d'alimenter pour la dernière fois le mensonge des chancelleries de Vienne et Berlin sur la Serbie comme provocatrice de la guerre.

La éclaration du chef de la délégation allemande, malgré les restrictions qui l'accompagnent, constitue l’aveu officiel de l'Allemagne de l'innocence serbe. Cet aveu, après la publication de nombreux documents authentiques établissant la préméditation austro-allemande, ne nous ap-

rend rien de nouveau mais il faut bien l'enregistrer et le souligner comme la réhabilitation intégrale de la Serbie. Au moment où la Conférence, aprés avoir reconnu de fait notre union nationale, procède à l'établissement des sanctions et des réparations dues à notre peuple, cette réhabilitation formelle était nécessaire. Elle termine le débat sur la position de la Serbie dans le conflit mondial.

Un coup qui a mal porte

En quittant Paris au moment où étaient appelès à Versailles les plénipotentiaires alle6 «ds, M. Orlando a certainement cru que l'atltude passive de l'Italie paralyserait les travaux de la Conférence et contraindrait les Alliés à faire droit aux exigences italiennes. Cet espoir lui a paru d'autant plus justifié qu'énervés par la longue durée des délibérations les peuples s’impatientent et exigent la liquidation de la guerre, fût-ce même au prix de certaines injustices. Les Italiens ont voulu tirer parti de cette disposition des peuples. Ils ont mal calculé. La Conférence de Paris n’a pas cru nécessaire de suspendre ses travaux à cause de l'absence des délégués italiens. Elle a poursuivi ses délibérations ce qui n’a certainement pas dû remplir de joie MM. Orlando et d'Annunzio.

On affirme que les Italiens sont de fins politiques, qui, malgré certaines gaffes rententissantes, réussissent touiours à retrouver leur équilibre. Dans son discours à la chambre italienne, M. Orlando n’a pas brûlé tous les ponts et il est à espérer qu'après sa petite comédie jouée avec une maestria incontestable, les délégués italiens — peut-être avec quelques changements de personnes — retourneront à Paris. On trouvera quelques formules plus ou moins heureuses que le bon peuple italien avalera et nous verrons peut-être un renouvellement de l'enthousiasme pour Wilson. On changera quelques noms de rues et tout se passera pour le mieux. Tous les délires italiens finissen: de la sorte.

(fsrtaines déceptions ne manqueront cependant pas dux Italiens de nouveau installés à l'hôtel Edouard VII. La première sera que la représentation de notre pays ne sera plus celle de la Serbie, mais du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. M. Orlando ou son héritier devront apposer leur signature à côté de celle des « ennemis » Croates et Slovènes. Ce sera un des gains du petit voyage triomphal à Rome.

I y a d’autres déceptions qui succéderont à celle-là. Les Italiens verront que leur vérité et leur justice dont ils sont si persuadés sont tout autrement envisagées dans le monde qu'ils ne le croyaient. Quelques articles de journaux sympathiques à outrance aux Italiens ne signifient pas encore que justes soient leurs revendications. Toute l'opinion publique avancée, délivrée enfin des formules dont se nourrissait le Congrès de Vienne, désapprouve les prétentions italiennes dans lesquelles elle voit l’atteinte la plus grave à l'esprit qui-a créé l'Italie et à l’idée que ses meilleurs fils ont défendue avec tant d'enthousiasme et d'idéalisme.

La France et l'Angleterre, qui montrent tant de bonne volonté à exécuter ce qu'elles ont signé, sont catégoriques à l'endroit de Fiume, bien que M. Orlando ait touché jusqu'aux larmes son auditoire de Montecitorio en en exaltant l’«italianissima ». Si ces deux signataires du pacte de Londres acquiescent à l'abandon d’une partie de la Dalmatie à l'Italie, ils ne le font pas parce qu'ils sont convaincus de la justesse des prétentions italiennes, mais parce qu’ils ont signé. Ce fait en lui-même en dit assez. Cette signature, extorquée à un moment difficile, reste toujours une dette d’honneur, mais une dette dont il est malaisé de s'acquitter sans se rendre coupable envers le sentiment le plus élémentaire de justice. La France «et l'Angleterre, tout en se trouvant donc dans une impasse, grâce à l'intransigeance de l'Italie, sont quand même dans une bonne situation, car elles ont à leurs côtés l'Amérique, qui, libre de tout engagement, est

| là pour veiller à ce qu'aucune atteinte ne soit

portée au sentiment de justice des peuples.

Il est évident, maintenant que certains détails ont été rendus publics, que les délégués italiens étaient très bien renseignés sur les idées de M. Wilson et que sa déclaration même, qui avait soi-disant déterminé M. Orlando à entreprendre son voyage burlesque, était connue de tous ces messieurs. M. Orlando a cru simplement que le président Wilson n’oserait pas. Et pourtant celui-ci a osé, ce qui montre clairement sa détermination résolue, inébrarlable. M. Orlando a recouru au

chantage pour fléchir la volonté de M. Wilson, mais tout porte à croire qu'il n'y a pas réussi et qu'il n'y réussira pas. Car le président Wilson n'est pas seulement un idéaliste qui a en vue le bien-être des peuples et leur progrès futur, mais il est également un politicien qui s’est rendu compte clairement de certaines réalités accessibles à la compréhension de tous ceux qui veulent comprendre. Aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de régler les choses selon les principes de justice. mais également de poser les bases d'une paix durable et stable. Si l'Europe laisse les Italiens s'assurer des frontières stratégiques sur notre sol et aux dépens de notre peuple, on se trompe si l'on croit que la paix future en sera assurée. Les Italiens seront les premiers à se convaincre que les frontières stratégiques au milieu d'un peuple hostile ne valent pas grand'chose. M. Wilson a certainement compris que notre peuple, après ce qu'il a fait jusqu'à présent, n’est pas de ceux qui s'accommodent facilement des injustices commises envers eux. Il sait très bien que nous avons supporté cinq siècles d'horrible domination étrangère sans perdre un seul instant l'espoir d'une résurrection, Il a constaté notre vitalité que n'ont pu supprimer ni les gibets, ni la prison. En s'opposant aux exorbitantes prétentions italiennes, folies nées du délire de mégalomanie, Wilson se montre plus grand ami des Italiens que ne le sont Orlando et consorts. Il veut onvrir à l'Italie des horizons de bonheur et de bien-être, au lieu de nouvelles batailles et peut-être de nouveaux Caporetto, où les troupes anglofrançaises n’interviendraient plus.

M. Orlando et son successeur éventuel doivent prendre note de cette situation et essaver de concilier leur patriotisme exalté avec Jes réalités et le droit à la vie des autres peuples, qui ne Sont pas moins dignes de jouir d'une place au Soleil que les Italiens. Des sorties drôlatiques comme la dernière ne sont pas de nature à faire avancer les choses.

SYRMICUS,

Conférence de la paix

Onzième lettre

Paris, 22 avril.

La semaine dernière n'a pas avancé l'heure de la paix, mais elle ne s'est pas passée non plus sans qu on arrive à quelques résultats positifs, aussi bien dans le domaine de la politique générale que dans la question qui nous concerne directement, c'està-dire la question adriatique. é

. Le fait saillant de la semaine, après la Convocation des délégués allemands, fut l'annonce d'un rapprochement politique concret entre le bloc anglosaxon, l'Amérique et la Grande-Bretagne, et la France. Déjà dès le début de la Conférence, on avait pu constater que l'Amérique et la GrandeBretagne étaient tombées d'accord sur la manière d'envisager les grands problèmes de la politique mondiale. Ceux qui escomptaient une rivalité politique entre l'Angleterre et les Etats-Unis furent promptement détrompés. Il est vrai qu'après l'écrasement de l'Allemagne, la Grande-Bretagne s'est trouvée en présence de la puissance mondiale autrement redoutable qu'est l'Amérique, en sorte que l'hypothèse d'une rivalité et même d’un conflit anglo-américain ne paraissait pas n'appartenir qu'au domaine de l'imagination. On oubliait cependant que la politique de la Grande-Bretagne n'avait jamais été agressive, et qu'avant de penser à un conflit armé quelconque, la diplomatie britannique s’ingéniait à trouver des arrangements amicaux et des compromis. « Ceux qui ont suivi la politique de la Grande-Bretagne, nous disait un diplomate anglais se rappelleront sans aucun doute quelle fut l'attitude de l'Angleterre à l'égard de l'Allemagne, car elle donne une idée de nos méthodes et de nos buts. Nous avons facilité, en 1909, la solution de la crise bosniaque pour éviter la guerre générale. Nous avons rendu possible l'accord franco-allemand en 1911, au sujet du Maroc, pour éviter la guerre . edropéenne. Nous nous sommes appliqué de toutes nos forces, en 1912-13, à empêcher que les guerres balkaniques n’allumassent le monde entier. En 1914, avant la guerre européenne, nous avons conclu des arrangements spéciaux avec l'Allemagne au sujet de la Perse, accordant ainsi au peuple allemand de grandes facilités pour son expansion politique et économique en Orient. C’est nous qui avons envoyé lord Haldane à Berlin pour négocier