La Serbie
2
une entente amicale avec le monde germanique. L'idée directrice de notre politique a toujours été la collaboration de tous les peuples civilisés pour le progrès de l'Humanité. À l'Allemagne, nous: cédions une large place au soleil. Mais, pour le malheur del'humanité et du peuple allemand lui-même, les Allemands prétendaient non pas à la collaboration et à la participation dans cette œuvre civilisatrice, mais plutôt à la domination et à l'hégémonie absolue. Le germanisme voulait triompher des autres conceptions politiques et nationales. "On pourrait encore le pardonner aux Allemands, s'ils n’avaient employé que des moyens pacifiques pour imposer au monde leurs méthodes, leurs systèmes et leur mentalité, Mais l'Allemagne a préféré le fer et le feu pour arriver plus sûrement à cette domination mondiale dont, sciemment ou inconsciemment, tout le peuple allemand rêvait. Alors, ce fut la guerre...
« À l'égard de l'Amérique, comme de la France, la Grande-Bretagne pratique une politique de solidarité mondiale. C’est pourquoi nous acceptons, sans aucune arrière-pensée, de partager loyalement avec les Américains le pouvoir et la responsabilité dans le monde. Telle est la synthèse de notre accord, plutôt tacite, avec les Etats-Unis. »
En réalité, la Grande-Bretagne et l'Amérique marchent de pair. L'Empire britannique est tellement vaste qu'un accroissement territorial n'exerce sur les Anglais aucun attraction particulière. D'autre part, la Grande-Bretagne possède un intérêt vital à voir ses nombreuses dépendances en complète sécurité, et, cette sécurité, rien d'autre ne pouvait la lui fournir qu'une entente cordiale avec la puissante Amérique. Avant de se rendre à Paris, les hommes d'Etat britanniques et ceux de Washington se sont donc concertés au sujet des principaux problèmes de la paix. On n’a pas tardé à le constater à Paris. Dans toutes les questions importantes, politiques, économiques où financières, c’est tantôt la délégation britannique qui s'associe au point de vue américain, tantôt la délégation américaine qui accepte le point de vue britannique. Cet accord entre les puissances anglo-saxonnes aurait été réalisé, selon le dire des milieux américains, sur la base de la Ligue des Nations, en sorte que, pour l'Amérique, la Ligue ne serait que le cadre, la formule par laquelle l'influence américaine se ferait sentir, tandis que, pour la Grande-Bretagne, la Ligue aurait plutôt la signification d'une réassurance contre toute atteinte aux possessions britanniques. La plupart des mandats délivrés au nom de la Ligue seront conférés par conséquent au gouvernement américain désireux de se lancer activement dans la politique mondiale. _
La probabilité d’une entente particulière entre les deux puissances extra-européennes a produit de l'inquiétude sur le continent. La France s'est aussitôt rapprochée davantage encore de l'Italie, afin d'avoir tout près d’elle une alliée dans le cas d'une nouvelle agression allemande. Mais-la combinaison du bloc latin, proclamée si haut par les Italiens, était par trop fragile et par trop étroite pour servir de base à une politique de grand style. La France n'avait aucun intérêt à s'éloigner de ceux avec lesquels elle a gagné la guerre, et, quant à l'Angleterre et à l'Amérique, elles ne considéraient leur accord propre que comme le prélude d’autres combinaisons plus larges dont la France ferait aussi partie. Les conversations engagées dans ce sens semblent bien avoir abouti à des résultats heureux, et les journaux américains parlent déjà d'une alliance plus ou moins formelle entre l'Amérique, la France “et la Grande-Bretagne. On ne sait rien de précis à ce sujet, mais il est certain qu’une telle alliance, tout en donnant à la France la sécurité désirée, finirait par mettre l'Italie dans l'impossibilité de continuer son petit jeu au moyen d’un bloc latin qu’elle voulait artificiellement opposer aux Slaves. Et la France ne sera pas obligée de soutenir à tout prix les extravagantes prétentions italiennes. Mais, pour le moment, ce ne sont que des combinaisons dont on ne sait rien de positif. Il ne faut pas non plus oublier que de telles combinaisons peuvent nuire à la Ligue des nations.
LA SERBIE
Quant à notre question nationale, on a pu enfin, après beaucoup de tergiversations, Y voir clair et constater que l'Amérique, tout en ayant des sympathies pour l'Italie, ne veut et ne peut pas accepter le programme impérialiste du gouvernement italien. Un des 14 points du programme Wilson stipulé que l'ajustement des frontières de l'Italie devra être effectué selon les lignes de nationalité clairement reconnaissables ». Invité à se prononcer au sujet de ce programme, le gouvernement italien n'avait fait en son temps aucune réserve, en sorte que le président Wilson estime avec raison que l'Italie a souscrit à ses principes dont il ne veut pas se départir pour ne pas compromettre l'autorité morale de son pays. Le duo Orlando-Sonnino insiste cependant sur l'application du traité de Londres, et fait savoir que le gouvernement italien ne signera pas la paix avec l'Allemagne si le traité de Londres, avec Fiume en plus, n'est pas exécuté. Le pacte du 4 septembre 1914, signé plus tard par l'Italie, ne permet pas à l'Angleterre et à la France de conclure la paix avec l'Allemagne sans l'Italie. On se trouve ainsi en présence d’une situation où le chantage joue un sôle prépondérant. S
7
é Le tournoi Wilson- Orlando
M. Wilson a prié les puissances signataires du traité de Londres d'amener la délégation italienne à la modération. Des pourparlers sont en cours, mâis jusqu'à présent sans succès aucun. Insuffisamment renseignée, l'opinion publique française accueille avec plus de sympathie les revendications italiennes que celles de notre peuple. Nous nous trouvons dans une situation difficile, car, même si on arrive à une solution acceptable de la question-de Fiume, on n'aura pas résolu le problème de l'Istrie, de Gorica et de Trieste, qui constitue l'ensemble de la question adriatique, sans parler de celui de la Dalmatie que les Italiens, dans un aveuglement inconcevable, réclament également pour eux, malgré la volonté expresse de la population dalmate de n’accepter en aucun cas le ioug de la Venise moderne,
L'anxiété est grande dans nos milieux et tous les regards sont tournés vers la place des Etats-Unis, vers le président Wilson.
Pornicus.
Ce ne fut pas un véritable tournoi, l’un des partenaires ayant jugé plus simple d'abandonner le combat après les premiers coups échangés, mais l’escarmouche n’en reste pas moins intéressante et, puisque la question adriatique est toujours brûlante, il n’est pas inutile d'examiner de près les positions prises et de rechercher les points de contact éventuels. Nous ne suivrons pas cependant l'exemple du Temps qui, dans son éditorial du 29 avril, n’a pas fait preuve d’une logique rigoureuse. Nous n'avons rien à objecter lorsque des publicistes de bonne foi se prononcent contre nos revendications. Chacun a bien le droit de juger à sa manière des faits politiques qui l'intéressent. Notre surprise ne commence qu’au moment où nous voyons des faits notoires interprétés avec une logique tortueuse, et c'est précisément le reproche que nous devons adresser au Temps.
Le président Wilson avait déclaré au point 9 de son programme que les frontièresitaliennes devaient être tracées selon des lignes de nationalité « clairement #Teconnaissables », et voici que le Temps estime que l'attribution de Fiume à l'Italie serait conforme au principe wilsonien, parce que «la population actuelle de Fiume présente dans sa très grande majorité les signes les plus reconnaissables de la nationalité italienne ». Or, même en faisant abstraction de l’inexactitude de cette affirmation, la majorité italienne se limitant strictement à Fiume-ville ét non pas à toute l’agglomération urbaine, on peut s'étonner de la légéreté avec laquelle le Temps manie les principes de Wilson.
Notre grand confrère semble oublier que le président Wilson a déjà eu la prudence d'écarter une interprétation aussi erronée de son idée, en déclarant à Rome, lors de sa dernière visite, qu'il espérait bien que l'Italie ne demanderait pas New-York, qui serait une grande cité italienne si l’on en
jugeait d’après le nombre d'immigrés italiens qui s’y sont établis.
En examinant la déclaration de M. Wilson et la réponse de M. Orlando, on constate quelques faits intéressants. Tout d’abord, M. Orlando déclare que, dans ses conversations avec M. Wilson, il ne s’est jamais appuyé sur l’autorité formelle d’un traité par lequel M. Wilson n'était pas lié, mais qu'il s’est toujours prévalu de la force de la raison et de la justice. Il est vrai cependant, et M. Orlando le reconnaît lui-même, qu’il entendait la raison et la justice à la manière italienne, de sorte qu'aucun rapprochement n’a pu être réalisé entre l'idéal américain et les convoitises italiennes. Le président Wilson reconnaît, d’autre part, que la vérité et la justice ne sont le monopole de personne, et il laisse au monde le soin de juger quelle conception répond le mieux au postulat objectif de justice, la conception wilsonienne ou bien celle de Sonnino-Orlando.‘Ce jugement cependant est porté et il n'est nullement en faveur de l'Italie.
Ce qui affaiblit considérablement la thèse italienne et ce qui prouve d’une façon décisive la faiblesse des arguments de la délégation italienne, c’est l’affirmation de M. Orlando que la Conférence a eu souvent l’occasion de changer de sentiment, lorsqu'il s'agissait de l’application des principes aux faits concrets. En conséquence, le ministre-président italien revendique aussi pour l'Italie cette possibilité d'adaptation qui a été accordée aux intérêts des autres puissances.
Cet argument peut avoir une certaine valeur diplomatique, maïs il se retourne contre l'Italie parce qu’il démontre le vrai caractère impérialiste des revendications italiennes. M. Orlando vise tout particulièrement la Dalmatie et les îles dalmates que l'Italie réclame, malgré la volonté contraire et unanime de la population dal-
1919 _—..N2 20
Lundi 12 Mai mate. Il voudrait que M. Wilson renonçât à ses principes dans le cas de la Dalmatie, comme il l'aurait fait, selon les Italiens, dans d’autres cas analogues que M. Orlando pourtant n’a pas spécifiés.
En ce qui concerne l'Istrie, M. Orlando accepte très habilement la proposition américaine et s’en montre très reconnaissant, à la condition toutefois que la frontière italienne englobe toute l'Istrie. En faisant cette proposition, le président a sacrifié déjà un grand nombre de Sudslaves par le tracé de la frontière italienne sur le versant des Alpes; mais cela ne suffit pas à M. Orlando, qui voudrait encore
| aller au delà.
Le passage le plus intéressant de la réponse de M. Orlando est celui qui se rapporte à Fiume. C'est là que le ministreprésident italien se réclame des principes wilsoniens et invoque même la protection des petites communautés !
La déclaration de M. Orlando en réponse à celle de M. Wilson n’est pas aussi énergique que l’on pourrait croire. En la lisant attentivement, on constate que l'envie ne manque pas aux Italiens de s'arranger, mais, pour avoir une position plus sûre, ils ont préféré obtenir d’abord un vote de confiance du parlement et de l'opinion publique italiens. Tout dépend maintenant de Wilson et de sa fermeté. La résistance italienne sera définitivement brisée si le président Wilson se montre inexorable däns sa décision de ne signer qu’une paix vraiment juste. La cause de notre peuple se trouve ainsi dans les mains de Wilson et
mi
tout semble indiquer que nous possédons |
dans l’illustre président de la grande république américaine un grand protecteur qui sera en même temps le plus grand bienfaiteur de notre nation unie.
Conférence de la paix
Douzième lettre
Paris, 28 Avril. — Au moment où les Allemands annonçaient l’arrivée prochaine de leurs plénipotentiaires à Versailles, les délégués italiens quittaient Paris. D’après un communiqué officiel, M. Orlando avait-adressé, le. 23_ avril au soir, à Monsieur Clemenceau et à M. Lloyd George, chefs des délégations française et britannique, une lettre, où il les informait qu'à la suite de la déclaration du Président Wilson, la délégation italienne avait décidé de quitter Paris le 24, à 17 heures. Au geste du président Wilson, les Italiens ont répondu par un geste à eux. Ils ont pris le train de Rome.
La surprise a été tellement énorme que le public, trompé par les commentaires optimistes de quelques journaux désorientés, n'a pas encore saisi le véritable caractère de la décision italienne. C’est pourquoi on lit dans la presse française une foule de détails sur le départ un peu burlesque des délégués italiens, mais à très peu d’exceptions près, on n'y trouve pas d'appréciation objective.
Les journaux britanniques et américains se montrent beaucoup plus indépendants et leurs commentfaires sont en général très défavorables pour les Italiens. Sans prendre parti pour l'Italie ou l'Amérique, les milieux anglo-américains estiment que le départ des Italiens est en soi-même un acte irréfléchi et ce jugement est encore corroboré par la façon puérile dont il a été effectué.
Selon leur habitude, les Italiens ont essayé, par une manœuvre aussi habile qu'inefficace, de détourner l'attention du public et du peuple italien de l'essence même de la question. En effet, dans sa
0
FEUILLETON
ME STROSSMAYER
Notes de voyage à Diakovo
en mai 14879 par ‘
Edouard MARBEAU
M. E. Marbeau vient de nous adresser la note publiée par lui dans la Revue de France (livraison du 1° août 1880), après un voyage à Diakovo où il a eu l'occasion de visiter Mgr Strossmayer. Il n’est pas sans intérêt d'en communiquer quelques passages à nos lecteurs :
En allant de Budapest en Bosnie, j'ai tenu à m'arrêter à Diakovo, village de Slavonie. Diakovo est la résidence de Mgr Strossmayer, ce prélat que les Slaves du Sud vénèrent comme le patriote qui, depuis trente ans, a le plus fait pour la reconstitution de leur nationalité.
Une nuit suffit pour descendre le Danube jusqu'au confluent de la Drave. Là on change de batéau pour remonter cette rivière jusqu'à Essek, où l’on trouve à louer une voiture qui, en moins de quatre heures, nous conduit au village de Diakovo. Une longue route traverse la plaine et conduit au bourrelet formant la ligne de partage entre les eaux de la Drave et celles de la Save, les deux limites de la Croatie et de la Slavonie. Ce renflement forme au milieu de ces provinces comme une longue arête en déclivité vers le Danube. Arrivé sur ce plateau, on voit se dresser dans le lointain, au
milieu des massifs d'arbres des parcs, deux flèches auxquelles la brique donne des tons rosés. C'est la cathédrale du petit village de Diakovo. :
Il y a dix ans, Mgr Strossmayer n'était guère connu que de ceux qui avaient suivi le réveil soudain des peuples de race slave au Sud de la Hongrie et dans la péninsule des Balkans (Yougoslaves, Slaves du Midi). On ne pouvait manquer d'être frappé du rôle considérable joué par ce prélat qui, sorti d'une famille pauvre d'Essek, dut à ses seuls mérites le titre de chapelain impérial et la fonction de directeur de l'Académie religieuse de Vienne (Augustineum), devint à trentecinq ans évêque de Diakovo et aequit bientôt une popularité si grande que les orthodoxes eux-mêmes le regardaient comme le premier fils de la nation slave (Prvi sin naroda).
Il se révèle à la vie publique aux assises nationales (Verstärkter Reichsrath, Conseil renforcé) que François-Joseph convoque en 1860, à la suite de la guerre d'Italie, en vue de donner une constitution qui rétablisse l'harmonie entre les diverses parties de la monarchie. Par son savoir et son éloquence, il se fait une place en vue dans cette assemblée. En 1861, lorsque se réunit la diète croate pour poser les bases des rapports constitutionnels qui devaient unir de nouveau la Croatie et la Hongrie, l’ardent évêque se met à la tête de l'opposition et revendique, au nom du droit historique, la liberté, l'autonomie et l'intégrité de la Croatie. Il déclare que l'Autriche ne pourrait se réorganiser d’une manière durable que sur la base d’une complète fédération assurant à chaque peuple des droits égaux, et que la Hongrie ne saurait réussir dans la question d'Orient que par l'intermédiaire d'une fédération des Slaves méridionaux.
Son autorité diocésaine comprenait, en fait, les Slaves de Syrmie qui dépendent de la monarchie austro-hongroise et, nominalement, ceux du vilavet de Bosnie; il était. de plus,
administrateur apostolique des évêchés de Belgrade et de Smédérévo (Semendria), en Serbie. A ces titres, il pouvait non seulement parler au nom des Croates, mais réclamer pour tous ses compatriotes, catholiques où orthodoxes, la restauration de leur nationalité.
En 1867, lors du compromis austro-hongrois (Ausgleich), quand on dut discuter, dans la diète croate, le traité entre la Hongrie et la Croatie, l'autorité acquise par Mgr Strossmayer pouvait être un obstacle à une entente sur les bases que le gouvernement de Vienne avait consenties. Aussi l’empereur l'invita-t-il à s'éloigner de son diocèse pour un temps.
Depuis, son rôle politique fut très effacé. Il se produisit alors ce qui arrive souvent chez les peuples qui ont perdu leur nationalité dans un morcellement et dont la moindre revendication expose ceux qui la formulent à passer, aux yeux des autorités, pour agitateurs. Les évêques, gardiens suprêmes des intérêts moraux du peuple, peuvent seuls personnifier la cause nationale et, si le gouvernement leur refuse la liberté de s'exprimer, ils savent toujours, par les écoles primaires, par les établissements d'enseignement supérieur, raviver les sentiments patriotiques, conserver l’idiome national et préparer ainsi le triomphe de ce que toutes les races opprimées appellent la grande idée.
Ce fut le programme que se traça l'évêque de Diakovo. La nomenclature des institutions qu’il a fondées serait trop longue; qu'il suffise de dire, pour l’enseignement élémentaire, que Ja proportion des enfants des deux sexes qui fréquentent les écoles dépasse celle obtenue dans certains de nos départements français. Développement de l’enseignement primaire. fondation de séminaires, création de sociétés savantes, publication de livres slaves, il mène tout de front. Malgré l’opposition du gouvernement autrichien, ‘il est parvenu à fonder une académie slave à Agram. C’est encore en partie à ses libéra-