Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE TROISIÈME. 131

nécessité des occupations manuelles ; l’oisiveté lui semble l'affirmation de sa dignité, et le sentiment de la vanité satisfaite lui suffit pour réagir contre l'ennui d’une existence trop souvent inoccupée. Au point de vue psychologique nous allons voir en effet un être ayant une haute idée de sa valeur personnelle et volontiers ne doutant de rien. Qu'il ait ébauché l'étude d'une question quelconque, il connaît celle-ci à fond; il tranche toutes les difficultés et substitue son jugement à celui de tous les autres; c’est en un mot l’orgueil qui est la base de ja nature morale du Monténégrin. C'est aussi l'envie de briller parmi ses égaux qui l'élèvera quelquefois jusqu'aux dévouements sublimes. Son ardeur guerrière nest point en effet le courage froid et raisonné de l'homme du Nord qui marche fatalement au-devant du danger ou l'attend, impassible, dans la conviction du devoir accompli. Il lui faut les excitations, les défis réciproques, l'odeur de la poudre, le bruit de la fusillade, la présence de ses voisins et de ses amis, la parole flatteuse de son chef, où mieux encore le regard de son prince. Alors ce n'est plus un homme, c’est un lion qui se jette au-devant de la mort, fauchant de son handjar jout ce qu'il rencontre, jusqu'au moment où le fer ennemi vient à son tour mettre fin à l’'hécatombe dont souvent il s'est fait le volontaire sacrificateur. L'histoire des luttes monténégrines est toute pleine de ces actes d'héroïsme, dignes des chants homériques, accomplis quelquefois par un soldat obscur, hier peut-être paysan inconnu , aujourd'hui martyr de la patrie, sur la tombe duquel les jeunes hommes de la Montagne-Noire, jaloux de son glorieux destin, rediraient volontiers avec le poëte :

Dulce et decorum est pro patrià mori.