Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

172 LE MONTÉNÉGRO CONTEMPORAIN.

armes sont en effet légendaires et sans prix, et se transmettent religieusement de père en fils depuis de longues générations: on cite quelquefois le nombre de têtes que certains handjars ont abaitues, conquérant ainsi des quartiers de noblesse pour l'authenticité desquels il n’est point nécessaire de recourir aux parchemins du Herald's office. Un nôje très-ordinaire, à fourreau de cuir et à poignée d'os, vaut déjà quatre ducats; entre cette arme modeste dont le dernier Monténégrin est pourvu et le handjar à fourreau et à poignée de vieux argent, on trouve de nombreux intermédiaires; une arme de quinze à vingt ducats se voit fréquemment à la ceinture des gens de la classe moyenne.

Le yatagan, véritable sabre turc, provenant à peu près toujours du butin fait à la guerre, est porté assez souvent au côté par les dignitaires; c’est un insigne de commandement.

La lame du yatagan comme celle du handjar est constamment aiguisée, et le Monténégrin se sert fréquemment de son arme pour les usages de la vie ordinaire. C'est avec le yatagan ou le nôje que, dans les festins, on taille à tour de bras et en quelques secondes un mouton rôti en vingt quartiers, sans que l'acier soit arrêté par l'os le plus dur dans sa course fulgurante. Manié par une main monténégrine, le handjar est terrible; c’est lui qui toujours a jeté le désordre dans les bataillons turcs et décidé la victoire. Nous avons oui raconter que, pendant la guerre de 1862, un porte-drapeau, poursuivant un soldat turc, lui décolla la tête dans sa fuite, d'un revers de son arme, sans que le corps du musulman en eût en quelque sorte éprouvé de secousse; et nous eussions douté d'un récit qui paraît fabuleux au premier abord,