Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures

CHAPITRE QUATORZIÈME. 393

vitch ajoute : « Pendant mon séjour au Monténégro, en 1847, un exemple est venu me prouver d'une façon extraordinaire la violence sauvage du sentiment de l'honneur chez les Monténégrins. L'un d'eux avait affirmé publiquement avoir frappé un de ses concitoyens ; peu de temps après ce dernier tua celui qui avait voulu le flétrir, et s'enfuit en Turquie !. » Qui eût tenté, dans les temps anciens, d'instituer chez un pareil peuple les peines infamantes des fers, du fouet et de la bastonnade, eût été peut-être la première victime de sa folle tentative. k

Rien ne prouve que les Monténégrins n'aient pas eu frès-anciennement une loi écrite ; mais celle-ci a dû fataJement se perdre chez un peuple illettré, qui n’en conservait sans doute que de très-rares exemplaires, et qui du reste devait en tenir peu de compte, préférant la voix de la conscience et de l'équité aux préceptes savants des législateurs. À quoi lui auraient servi des codes pleins de subtilités? Sa droiture et son bon sens eussent-ils accepté davantage le pédantisme de nos formes judiciaires, les longueurs désespérantes de notre procédure, les contre-sens inouïs de notre pénalité ?

Revenons maintenant aux traditions en usage dans le tribunal du bratsvo, et suivons pas à pas la procédure monténégrine dans toute sa simplicité. Du reste, entre

1 Nous avons, nous-même, en 1871, été témoin du fait suivant : Un jeune homme dé la nahia des Bielopavitj avait été, pour un vol, condamné à la fustigation. Poursuivi par la honte, il vint à Tsettinjé, ef, ayant vainement tenté d'obtenir du sénat une sorte de réhabilitation, il se tira en pleine poitrine un coup de pistolet, en face du palais du prince, et mourut quelques jours après. Ce trait est d'autant plus remarquable que le suicide est très-rare chez les Monténégrins, ceux-ci le considérant comme une làcheté. j