Le mouvement des idées : sur une histoire de la Révolution

LE MOUVEMENT DES IDÉES 533

boutiques d’épiciers sont pillées par des ouvriers qui avaient peur de la famine, semble provoquée par son journal, mais elle avorte. Surviennent nos revers militaires (fin mars), et aussitôt Marat redevient très influent. Il provoque la campagne « patriotique » des sections contre les Girondins; » car pour eux, il n'a pas de « pitié »; et M. Aulard cite de lui cette phrase stupéfiante : « Je propose, dit-il, le 19 mai, que la Convention décrète la liberté illimitée des opinions, afin que je puisse envoyer à l’échafaud la faction des hommes d'Etat qui m'a décrété d'accusation. » Après quoi l'historien écrit au bas de la même page : « La ‘violence chez lui va parfois jusqu’au délire, mais c’est le sentiment de l'injustice qui le fait délirer. » — En vérité, nous sommes édifiés : M. Auiard a de l’indulgence pour Marat; mais il n'est pas aveugle, il ne semble pas disposé à l’admirer. Ce sera à M. Kropotkine qu'il appartiendra de franchir le pas.

Sete craignais de sortir de mes limites habituelles, je placerais le portrait de Robespierre à côté de celui de Marat. L'opposition des deux figures achèverait de caractériser la méthode de M. Kropotkine : il ne le défend pas avec la même conviction, parce qu'il voit

_ enlui « un homme de gouvernement », qui fût devenu peut-être, malgré son incorruptibilité et sa haine du mercantilisme, un bourgeois taillé sur le modèle commun; et il juge la parabole de cette étonnante carrière de la façon décisive que voici :

« La bourgeoisie comprit qu’il était l’homme qui, par le respect qu’il imposait au peuple, par son esprit modéré et ses velléités de pouvoir, serait le plus capable d'aider à la constitution d’un gouvernement, __ de mettre fin à la période révolutionnaire, — et elle le laissa faire, tant qu’elle eut à craindre les partis avancés. Mais lorsque Robespierre l’eut aidée à ter-

* roriser ce parti, elle le renversa à son tour, pour réin-