Les états généraux en France

LES ÉTATS GÉNÉRAUX EN FRANCE. 901

point les voir, y tomber et nous y perdre. C'est ce que M. de Tocqueville appelle essayer de monter l’escalier, et, à mi-chemin, se jeter par la fenêtre pour arriver plus tôt en bas.

Ce grand et judicieux esprit, qui s’est livré à une étude si approfondie et si consciencieuse des temps antérieurs à 1789, déclare qu’on trouve dans cette étude mille nouveaux motifs de haïr l’ancien régime, mais peu de raisons nouvelles pour aimer la Révolution: car l’ancien régime, dit-il, « s’affaissait de lui-même, et rapidement, sous le poids des années, et par le changement insensible des idées et des mœurs. » Avec un peu de patience et de vertu, « on aurait pu le transformer, sans détruire tout à la fois tout ce qu’il contenait de détestable et de bon. » !

Un autre écrivain a fait observer que, dès l'ouverture des États de 1789, les trois ordres s'étaient mis d’accord sur la plupart des réformes principales dont, Padoption régulière eût entraîné, dans l’organisation de la France, une révolution aussi complète que celle par où nous avons passé, mais une révolution féconde, parce qu’elle eût été légale et pacifique.

C'était, dit cet auteur, « d’une voix unanime, que le clergé, la noblesse et letiers état demandaient : que les lettres de cachet fussent supprimées, et la liberté individuelle garantie ; — que la propriété fût inviolable et la confiscation abolie; — que le secret des lettres fût scrupuleusement respecté; — que la liberté de la presse ne fût plus subordonnée à la volonté ministérielle; — que l'impôt ne püt être perçu ni la loi mise à exécution sans le consentement national ; — que les agents du pouvoir exécutif fussent responsables. Restait la distinction des ordres. Quand se fût opérée leur union? comment se fût consommée l'égalité, même éleclorale et politique, de tous les citoyens devant la loi?... Selon toute apparence, la distinction des ordres n'eût pas survécu longtemps à 1789... Il y avait un moyen infaillible d'empêcher que la réunion des États Généraux demeurât stérile cette fois encore, après tant d’autres : c'était de n’accorder l'argent, dont le roi avait un pressant et impérieux besoin, qu'après avoir obtenu la pleine et entière réalisation des réformes que les députés avaient mandat d'accomplir. Mais l'Assemblée s’ingénia à élever, avec des matériaux entièrement neufs, un gouvernement philosophique. Confiante à l’excès dans la puissance des idées, elle entreprit avec une généreuse mais déplorable naïveté, de retrouver les titres perdus de l'humanité et de promulguer les nouvelles tables de la loi. Elle ne voulait rien moins que faire une décla-

1 Œuvres et correspondances inédites