Les derniers jours d'André Chénier
LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER 285$
ture indépendante. L'homme de lettres est naturellement suspect à certains politiciens et à leurs valets. Bref, le comité de Passy, en sa toute-puissance, décide, sans même se douter de son aubaine, que le nommé Chénier (André) sera « conduit apparis (sc) pour y être destenu par mesure de sûreté générale ». On le conduit d’abord au Luxembourg, converti en prison, et tellement rempli de prisonniers, que le concierge Benoît, sous prétexte d'encombrement, refuse de recevoir le nouveau venu. Le citoyen Duchesne, à qui le comité de Passy l'avait confié, le mène ensuite à Saint-Lazare, dont le guichetier, plus accommodant, consent à ouvrir sa porte. Cette porte, une fois relermée, ne devait se rouvrir pour André que quatre mois après, le 7 thermidor (25 juillet 1794), jour d’exécrable mémoire où l’homme de génie qui avait rajeuni la poésie francaise en rouvrant les sources antiques fut conduit, dans une charrette, à l'échafaud.
Détenu à Saint-Lazare et déjà menacé du couperet de la guillotine, André Chénier se détourna du spectacle des calamités publiques et de la vue de ses propres misères en s’apitoyant sur le sort d'une jeune et jolie personne, qui partageait, à contre-Cœur, Sa captivité. Comme tousses contemporains, comme M. de Boufflers, comme M. de Ségur, le gentil poète de l'A de plaire, il s’efforça d’abord de rester, jusque sous les verrous des geôliers de la Terreur, un homme de salon et de plaisante compagnie.
Les prisons furent, en ce temps-là, le dernier refuge de la société polie et de la littérature mondaine. On y faisait de l'esprit, un peu trop peut-être... Mais nous n'avons pas le droit d’être très difficile pour cet esprit, fait en présence de la mort. L'un des prisonniers de l'inquisition terroriste fredonne, en recevant son invitation à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire, l’air connu :