Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle
LES PHILOSOPHES ET LA SÉPARATION DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT. 7
mais instituera à côté ce que d'Holbach appelle une censure morale, sorte d'église officielle qui dressera les hommes à la vertu par un ensemble de peines et de récompenses réelles et non plus fictives. « Par là, le magistrat deviendrait un prêtre utile et le législateur exercerait un sacerdoce bien plus avantageux aux nations que celui qui, sous prétexte de les conduire au salut, ne les repaît que de vaines chimères et ne leur enseigne que de fausses vertus!. » Une religion raisonnable à opposer à une religion pernicieuse, voilà la solution de d'Holbach. Il ne parvient pas à concevoir une socièté sans dogmes et sans prêtres d'aucune sorte.
Helvétius, si on en croit son dernier biographe, aurait êté une exception au milieu des autres philosophes. Il aurait « préconisé l'éducation laïque, l'éducation nationale et la séparation de l'Église et de l'État, nécessaires au bien-être du pays »2. M. Albert Keïm est ici tombé dans l'erreur commune. Il a prêté à Helvétius nos idées d'aujourd'hui. Oui, Helvétius, comme d'Holbach, considère toutes les religions existantes comme foncièrement nuisibles. Mais voici sa conclusion : « Nul empire », dit-il, « ne peut être gouverné sagement par deux pouvoirs suprèmes et indépendants. Il est impossible de faire concourir les deux puissances spirituelle et temporelle au même objet, c'est-àdire au bien public. » Cela n’est pas, tant s’en faut, d’une « politique très moderne »3, c'est au contraire d’une politique très ancienne, puisque cela procède de la vieille conception unitaire de l'État antique. C’est la négation de la liberté religieuse et de la neutralité de l'État. Ce point de vue est à l'opposé de la séparation de l'Église et de l'Etat.
1. Les écrivains politiques, p. 228 (extr. du Système social). — Jéprouve, il est vrai, quelque surprise quand je lis ensuite le commentaire dont MM. A. Bayet et F. Albéri font suivre cet extrait de d'Holbach : « D'Holbach estime donc », disent-ils, « que non seulement l’enseignement de la morale, mais les principes mêmes de la morale doivent venir du gouvernement. Il est bien entendu que ces principes seraient ceux d'une morale laïque » (p. 228, note). En quoi la morale émanée d'un lel gouvernement sera-t-elle laïque? En cela sans doute qu'elle sera enseignée par des laïques? Mais, c'est le cas de le redire, Phabil ne fait pas le moine. Des fonctionnaires enseignant une morale d'État et ayant à leur disposition des moyens coercilifs, en dépit de leur costume, ne sont plus des laïques, au sens où nous l’entendons, c'est-àdire des esprits indépendants et libres.
2. Albert Keim, Æelvéltius. Paris, F. Alcan, 1907, p. 192.
3. À, Keïim, p. 569.