Les philosophes et la séparation de l'église et de l'état en France à la fin du XVIIIe siécle
8 ALBERT MATHIEZ.
M. Albert Keïm se corrige lui-même à un autre endroit de son livre quand il écrit : « À noter qu'Helvétius admet comme une sorte de religion d'excellentes lois, œuvres de l'expérience et d’une raison éclairée. Le culte le plus agréable à la divinité », dit-il, « est l'observation de telles lois... Ce texte comme ceux des Notes de la main d'Helvétius montre bien qu'Helvétius n’est point un de ces libres penseurs forcenès qui condamnent a priori toute conception religieuse et jusqu'au mot de Dieu*. » Je le crois bien! Cet ennemi des religions entendait donner à son État idéal le caractère religieux. ü: ne supprimait pas la religion, il l'absorbait dans l'État. Mais, à peine moins prudent que d'Holbach, il reculait le plus loin possible cette absorption. Il distinguait, en attendant, la religion du Christ, douce et tolérante, dont il consentait à s’accommoder, de la religion des prêtres qu’il flétrissait comme une entreprise de discorde et de sang?.
De tous les philosophes du xvm siècle, l’un des plus originaux et des plus hardis, quoique des moins connus, est Jean Meslier, curé d'Étrépigny en Champagne®, qui mourut en 1729, laissant un Testament, dont Voltaire édita en 1762 les extraits les plus saillants. Le Testament de Jean Meslier est à sa date un livre d’une audace effrayante. C’est certainement le plus parfait manuel de l’athéisme qui ait jamais été écrit. Une passion contenue, une résignation hautaine et désenchantée animent sa logique terrible et lui donnent comme une beauté farouche. Ici, plus de ménagements ni d'ornements superflus. L'auteur est près du peuple. IL n’a pas fréquenté les salons élégants. Il dit la vérité toute crue.
Eh bien! j'ai cherché dans ce livre, l’un des plus impression nants du siècle et de tous les siècles, une trace quelconque de l’idée de la séparation de l’Église et de l'État, et je n’ai rien trouvé.
Meslier ne voit pas de différence entre la religion naturelle, la religion de Voltaire « et la superstition la plus sombre et la plus servile ». « Si le théiste », dit-il, « ne voit Dieu que du beau côté, le superstitieux l’envisage du côté le plus hideux. La folie de l’un est gaie, la folie de l’autre est lugubre. Mais tous deux sont également en déliret. » Meslier traite de supposition absurde
A. Keim, p. 574.
Ibid., p. 569.
Étrépigny, Ardennes, arr, de Mézières, cant. de Flize.
Le bon sens du curé de Meslier, éd, Drevel. Corbeil, 1898, p. 38.
PPS