Lettre inédite d'Étienne Dumont sur quelques séances du tiers état : mai 1789
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de cent personnes qui n'aient pas répondu à l'appel et de cent autres qui aient opiné en trois mots. Un des premiers délibérants a dit « que le Roi & désirant d’être informé des moyens de conciliation, il fallait demander € que les commissaires tinssent leur séance dans l'assemblée nationale et € prier Sa Majesté de vouloir bien l'honorer de sa présence. — Sur ce, € Garat l'aîné ayant dit « que l'éclat du trône en imposerait et qu'il ne € convenait pas aux Communes, quelque opinion qu'il eût de leur cou« rage, de soutenir ce procès par-devant le Roi, » il s’est fait un brouhaha de mécontentement ; chacun s’est cru insulté dans son indépendance et plus il a voulu se justifier, moins il a été accueilli: il est vrai de dire qu'il a fort peu les talents de l'orateur. Garat le jeune, professeur du Lycée, n'a pas obtenu les battements de main qui nous scandalisaient si fort : ayant dit « que la simple et pure déférence à la lettre du Roi lui paraissait le seul avis à prendre et qu'il n’y avait pas même à délibérer, » tous nos Romains se sont indignés et le tumulte a duré plusieurs minutes. Il est certain que le professeur du Lycée parlait en homme qui a donné des gages à la servitude, mais cependant ses amis disent qu'il a des principes et du caractère : il a voulu parler fiérement de son courage — nouveau fumulle et sa pauvre voix a été étouffée. Il a recu là la lecon de modestie que vous et moi aurions voulu lui donner lorsqu'il défigurait Salluste au milieu des applaudissements du Lycée. 11 a tenu bon et il a demandé & qu’on ordonnât aux commissaires des communes de se retirer € et de rompre les conférences au moment où les commissaires du Roi € ouvriraient la bouche pour dire un mot; » autre tumulle où il entrait beaucoup de dérision pour ce ridicule avis. — Un des opinants, en acceptant les conférences, demande, pour prévenir les faux rapports, qu'il en Soit fait un procès-verbal, signé chaque jour par les commissaires de tous les ordres. Cet avis est très-applaudi et comme le parleur a la voix forte et prononce bien, il entraîne au moins le suffrage des Galeries, c'est-à-dire de l’amphithéâtre, qui est aux deux côtés du chœur où est l'assemblée, assise sur un même niveau. Le Doyen se lève et recommande aux spectateurs de n'applaudir, ni désapprouver parce qu'ils gênent la liberté des opinions et occasionnent du désordre : les spectateurs, trèsédifiés de ces raisons, applaudissent plus fort que jamais, pour marquer leur consentement.
Vers huit heures l'Assemblée était languissante, fatiguée des répétitions et surtout de l'importance que chacun mettait à la plus légère différence d'avis pour faire un discours, avec exorde et tout l’échafaudage oratoire. La plupart lisaient leurs papiers, et, en vérité, il vaudrait autant venir à l'assemblée avec des discours copiés dans Tite Live que d'y apporter des
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