Lettres inédites de Frédéric Gentz à sir Francis d'Ivernois (1798-1803)
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Mr. de Montlosier! publie depuis quelque temps dans le Courrier de Londres. C’est sans contredit un écrivain distinqué, et même un homme de génie que M. de Montlosier. Mais pourquoi, au lieu de donner au public des résultats clairs et lumineux, qu’il est certainement en état de fournir, s’enfoncet-il dans de vaines chimères, et s’entoure-t-il d’une obscurité qui paraît quelquefois volontaire ? Pourquoi surtout offenset-il le sens commun au point de dire que l'argent est un objet entièrement superflu pour les nations et les gouvernements ? Que dit-on parmi vous de ces paradoxes ?
Un autre objet qui me pèse sur le cœur, c’est le Journal de Mr. Peltier ?. Heureusement je ne crois pas que ce Journal ait un public fort considérable, mais c’est toujours un malheur quand ceux qui défendent la bonne cause se persécutent et se détruisent mutuellement. Quelles sorties indécentes cet écrivain s’est-il permis contre Msr. Mallet-Dupan ! Y a-t-il donc parmi les émigrés de Londres des personnes qui méconnaissent assez leurs propres intérêts pour applaudir à une telle conduite ?
Je m’apperçois qu’il faut finir. Je prends la liberté de vous confier une lettre pour Mr. Balan ?. Il m’a rendu un véritable service par la traduction d’un de mes morceaux; et je vous avoue que malgré tout ce que vous m'avez dit du mérite de cette traduction, elle a encore beaucoup surpassé mon attente. Je suis charmé d’apprendre que le département des Affaires étrangères rend justice aux talents et aux mérites de cet homme : j'entends dire tous les jours qu’on en est infiniment content; et certes, il y en a peu dans cette carrière que l’on pourrait mettre en ligne de comparaison avec lui. Est-ce peut- être Mr. Balan qui a traduit l’ouvrage
1. François-Dominiqçue de Reynaud, comte de Montlosier (1755-1838), entra au Courrier de Londres, fondé par Calonne, en 1794, et le rédigea jusqu’en 1800.
2. Jcan-Gabriel Peltier, ancien rédacteur des Actes des Apôtres, publia de 1794 à 18c2 une revue Paris, suivie de L'Ambiqu (1803-1820). Il mourut en 1825.
3. Probablement Louis Balan, diplomate prussien, mort conseiller de légation à Londres, en 1807. Son frère, Joseph-Guillaume (1777-1834), était également conseil ler de légation à Londres (1806-1808).