Lettres inédites de Frédéric Gentz à sir Francis d'Ivernois (1798-1803)
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pour les premiers six mois de cette année, de tout travail littéraire. Voilà, Monsieur, ce qui me prive aussi du plaisir de traduire votre dernier ouvrage, plaisir que sans cet empêchement majeur, je n’aurais certainement pas cédé à un autre. Si celui qui se charge de cette traduction est un homme digne de sa tâche, je m'empresserai de lui communiquer tout ce qui pourrait l’aider dans son travail, et j’ajouterai, si le temps me le permet, quelques notes pour fortifier, s’il est possible, l’impression que votre ouvrage devrait produire partout, et qu'il produira certainement sur un petit nombre de lecteurs éclairés et raisonnables. Au reste, les exhortations par lesquelles vous finissez cet ouvrage ne seront pas perdues pour moi : je ne discontinuerai plus les extraits, les notes, les rapprochements, enfin tout ce qui pourra servir un jour à écrire l’histoire de cette république abominable ; et quoique occupé depuis longtemps d’un ouvrage de longue haleine sur Les premières années de la révolution (ouvrage dont l’exécution pourrait bien, à la fin, surmonter mes forces) aussitôt que vous serez résolu de laisser tomber entièrement le fil de vos travaux (époque qui ne saurait être trop reculée) je tâcherai de le relever.
J'écris cette lettre le jour même où les gazettes nous annoncent l'entrée des Français dans la ville de Berne, et les horreurs qui suivirent de près cet événement déplorable. C’est depuis la paix de Bâle celui qui m’a le plus douloureusement affecté. Aussi il me paraît que tous les autres crimes politiques des Français s’évanouissent quand on les compare à la conduite inouïe dont il se sont rendus coupables envers la Suisse. Si un gouvernement paternel, respecté jusqu’à ces jours de délire par l’Europe entière, si trois cents ans d’un bonheur presque parfait, si même la plus haute prudence et une neutralité poussée jusqu’au scrupule de la part des gouvernants n’ont pu garantir les habitants de ces pays des horreurs qu'ils éprouvent dans ce moment, quel est le peuple qui puisse se croire à l’abri des principes infernaux de la politique révolutionnaire ?
1. Berne avait capitulé le 5 mars 1798.