Livre d'or des officiers français de 1789 à 1815 : d'après leurs mémoires et souvenirs

EN

rêter? — Ah! monsieur le Maréchal, je me serais plutôt brûlé la cervelle devant votre palais que d’exécuter un pareil ordre. — Qu’as-tu donc à me dire? Parle, je suis résigné à tout. »

Je lui expliquai alors les ordres de l'Empereur; ses yeux étincelèrent de fureur; il se maîtrisa pourtant et me dit ces mots que je n’ai jamais oubliés : « Tous les guerriers, depuis Romulus, ont fait leur fortune en versant leur sang pour leur pays. L'Empereur croit donc que nous ne nous battons que pour l’assurer sur le trône et donner un royaume à ce freluquet de vice-roi d’Italie? Ce n’est pas pour moi que je veux de l'argent; Masséna n’a pas oublié qu'il fut soldat et qu'il vécut avec cinq sous par jour; je saurais vivre encore ayec ma solde, mais le luxe nous a envahis, l'Empereur nous a donné des titres, un rang à soutenir, et mes enfants ont été élevés dans le faste, qui séra un besoin pour eux. »

Je cherchai à le consoler par des lieux communs; je lui dis que les grands hommes de tous les temps avaient été persécutés; je l'engageai à lire Plutarque, à peu près comme le valet du joueur engage son maître à lire Sénèque,

(Général LAMARQUE, Souvenirs, t. I, p. 320.)

Aprés la paix de Tilsitt, le titre de duc de Rivoli et une dotation de 300,000 francs de rente furent la récompense des services de Masséna, mais ne le consolèrent pas de ce qui avait été pris à Livourne, car, malgré sa circonspection habituelle, on l’entendait parfois s’écrier : « Le cruel, pendant que je me battais pour ses intérêts, il a eu le courage de me prendre mes petites économies que j'avais placées à Livourne! »

(Général MarBor, Mémoires, t. II, p. 19.)

Pour récompenser la bonne conduite et la fermeté de Masséna aux combats d’Essling et de Wagram, l'Empereur le nomma prince d’Essling, en lui accordant une nouvelle dotation de 500,000 francs de rente qu’il cumulait avec celle de 300,000 francs du duché de Rivoli et 200,000 francs d’appointements comme maréchal et chef d'armée. Le nouveau prince n’en dépensa pas un sou de plus. Il était très avare.

(Général MarBoT, Mémoires, t. II, p. 20, 21.)