Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

62 LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION.

le voir, au sein même de la France, s’ériger en protecteur, non-seulement des idées et des institutions libérales, mais de tous les intérêts créés par la révolution, des hommes qui en étaient sortis, et les égards mêmes qu'il avait fallu avoir jusqu’à un certain point pour ce patronage n’avaient pu qu’irriter le mécontentement du roi. La politique aventureuse et tranchante de la Russie et de la Prusse, de ces deux monarchies d’une origine si nouvelle, le mépris qu'elles semblaient faire des anciennes traditions contre lesquelles leur grandeur récente était une protestation vivante, choquaïent naturelle ment les instincts et les habitudes d’esprit d’un prince assis sur le plus ancien trône de l’Europe, et dont les ancêtres avaient tenu le premier rang parmi les rois. Autant il se sentait de répugnance pour les allures hardies et compromettantes de ceux qu’il regardait en quelque sorte comme des parvenus, autant au contraire ilse trouvait à l’aise dans ses rapports avec les gouvernemens de l'Angleterre et de l'Autriche, de ces deux antiques puissances qui, depuis des siècles, comptaient comme la France parmi les élémens principaux de la société européenne, et s'étaient habituées, dans les plus grands écarts de leur ambition, à respecter les bases essentielles, les formes, les souvenirs traditionnels d’un ordre de choses auquel leur existence était étroitement liée. Je pourrais ajouter que l'Angleterre avait aux yeux de Louis XVIII le mérite particulier de n’avoir jamais reconnu l'empire napoléonien et d’avoir donné un généreux asile à la famille royale à l’époque où celle-ci s'était vue renvoyer du continent européen, et où la Russie s’était unie à l’empereur des Français par une étroite alliance.

Pour triompher immédiatement de ces souvenirs et de ces répugnanées, Louis XVIII aurait eu besoin non-seulement d’un sens politique très énergique et très éclairé, mais d’une élévation de caractère que la nature ne lui avait pas départie, et ce n’était pas son ministre des affaires étrangères qui pouvait le mettre en garde contre de telles préventions. M. de Talleyrand, trop soigneux de ménager et d’affermir son crédit dans la nouvelle cour pour se hasarder à contrarier sans une nécessité absolue ses préjugés et ses penchans, restait d’ailleurs fidèle à ses vieilles prédilections en poussant la France à l’alliance anglaise. Cette alliance avait été le rêve de sa jeunesse, et il lui était réservé de la réaliser à la fin de sa vie après l’avoir en quelque sorte ébauchée à l’époque doni j’esquisse en ce moment le tableau. Enfin, ce qui justifiait jusqu’à un certain point le système vers lequel penchaïit alors le gouvernement français, c’est que ce système était le seul qui pût le mettre en mesure d'atteindre les deux grands buts qu’il avait en vue dans les négociations de Vienne, — le rétablissement des Bourbons de Sicile sur le trône de Naples et le