Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

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LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION, 65

reconnaissant que l’ensemble de la situation appelait les deux cours à s’ériger en arbitres pour préserver la paix générale, le duc de Wellington, d'accord en cela avec la pensée de son gouvernement, était d'avis qu'il ne fallait pas, comme M. de Talleyrand l’eût désiré, proclamer à l'avance cet arbitrage, et qu'une telle attitude prise prématurément ferait tort à l'Angleterre, qui semblerait se complaire à briser capricieusement la grande alliance avant que les faits eussent démontré l'impossibilité de la maintenir.

Le congrès s’ouvrit enfin le 3 novembre. L'empereur de Russie, le roi de Prusse, le roi de Danemark et un grand nombre de souverains allemands s’y étaient rendus avec leurs principaux conseillers. L’Angleterre et la France y étaient représentées par leurs ministres des affaires étrangères, accompagnés chacun de plusieurs autres plénipotentiaires; ceux qui assistaient lord Castlereagh étaient

‘lord Glancarty, lord Cathcart et sir Charles Stewart, qu’on appelait maintenant lord Stewart; l'Espagne, le Portugal, les états d'Italie avaient aussi envoyé des ministres à ces états-généraux européens.

Je ne ferai pas ici l’histoire complète de ce congrès, je me bornerai à raconter les incidens principaux qui caractérisèrent la marche des négociations.

L'opiniâtreté hautaine avec laquelle la Russie et la Prusse se refusèrent d’abord à toute transaction, les manifestations menaçantes qui semblaient annoncer de leur part l'intention de soutenir à tout prix leurs exorbitantes prétentions sur la Pologne et sur la Saxe, déjouèrent complétement la politique circonspecte du cabinet de Londres. M. de Talleyrand, profitant des dissensions de la grande alliance, sut dès le premier moment se placer au niveau des représentans des autres grandes cours, qui avaient voulu le reléguer dans une position secondaire. S'appuyant à la fois sur sa vieille réputation d’habileté et sur l'avantage qu’avait la France de ne porter dans ces négociations aucune vue d'intérêt particulier, il prit en peu de temps une attitude qui faisait de lui en apparence le premier personnage du congrès, et en réalité il réussit à y faire prévaloir non pas peut-être les résolutions les plus avantageuses pour le pays, mais celles qui étaient le plus conformes aux vues actuelles de son gouvernement.

Ce qu’on aurait peine à se persuader, si les témoignages les plus formels n’en donnaient la preuve irrécusable, c’est que le gouvernement français à cette époque désirait la guerre. Les Bourbons se sentaient mal établis sur un trône où leur restauration avait été le résultat des revers de nos armées et avait coïncidé avec la perte de toutes nos conquêtes. Inquiets des graves mécontentemens qui commençaient à se développer après le premier enthousiasme que le retour de la paix avait fait éclater en leur faveur, ils eussent voulu,

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