Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

66 LORD CASTLEREAGH LT LA SECONDE RESTAURATION.

pour s’affermir, apporter à la France une dot de gloire militaire et d'agrandissemens territoriaux. Ils voyaient de grands avantages à occuper ainsi les esprits, à tirer d’une dangereuse oisiveté ce nombre prodigieux de généraux et d'officiers qu'on avait dû mettre en inactivité, et que l'ennui, la misère livraient aux plus dangereuses tentations. À cette époque d’ailleurs, on s'était habitué à considérer la guerre comme l’état normal des nations, et les intervalles de paix comme des espèces de trèves nécessaires pour renouveler de temps en temps les forces épuisées par des luttes trop vives. Personne, ni en France, ni dans le reste de l'Europe, n’imaginait alors que la paix qui venait d'être conclue püût durer au-delà de quelques années; personne ne pensait que la France püt se résigner longtemps aux énormes sacrifices qu'on lui avait imposés. Et cette perspective d’un nouvel appel aux armes n’effrayait pas autant les imaginations que pourraient le croire les générations actuelles, élevées dans des idées si différentes : le commerce, l’industrie, les intérèts matériels, compromis par vingt années d’hostilités non interrompues, n’avaient pas pris alors le développement prodigieux qui, en intéressant de nos jours tant d’existences au repos du monde, lui a donné de si puissantes garanties.

Les lettres écrites par le duc de Wellington à son gouvernement contiennent de curieux détails sur cette disposition de la cour des Tuileries. Les témoignages qu'il en recueiliait, il ne les puisait pas dans ses entretiens officiels avec M. de Jaucourt, chargé de la direction des affaires étrangères pendant le séjour à Vienne de M. de Talleyrand : M. de Jaucourt, dont le crédit auprès du roi n’était pas très grand, eût donné aux négociations, s’il en avait été le maître, une direction vraiment pacifique; mais le ministre influent, le favori du roi, le rival dans le conseil de M. de Talleyrand, M. de Blacas, avec qui l'ambassadeur d'Angleterre entretenait des rapports habituels et confidentiels, exprimait de tout autres sentimens. Le duc de Wellington ne pouvait s'empêcher d’éprouver quelque inquiétude de la vivacité hautaine avec laquelle on traitait à Paris toutes les questions, de l'affectation qu’on mettait à relever, à aggraver les incidens dont pouvait sortir, de quelque côté que ce fût, une occasion de querelle et de rupture. Il racontait comment, le chargé d’affaires d’Espagne s'étant permis de faire arrêter un réfugié espagnol par un commissaire de police qui avait eu la sottise de s’y prêter, le roi, poussé par les membres de sa famille et malgré les représentations réitérées de M. de Jaucourt et des autres ministres, avait fait conduire à la frontière le malencontreux diplomate sans en donner avis préalablement au cabinet de Madrid, sans lui demander d’abord une réparation. Il montrait le gouvernement français méditant une