Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

86 LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION.

dictature pour la direction des négociations et des actes qui amenèrent la première restauration. Des circonstances analogues déférèrent cette fois le même rôle au duc de Wellington. Le généralissime prussien aurait pu le lui disputer, d'autant plus que les forces placées sous son commandement étaient de beaucoup les plus nombreuses; mais Blücher n’était qu'un soldat héroïque, incapable de comprendre aucune combinaison politique, et qui ne portait dans cette guerre qu'un seul sentiment, celui d’une haine aveugle et furieuse contre Napoléon et contre la France. Ce qu’on aura peine à croire, c’est qu'il avait formé le projet, dans le cas où Napoléon serait tombé entre ses mains, de le faire fusiller. On lit ce qui suit dans une lettre que le duc de Wellington écrivait à sir Charles Stuart le 28 juin, par conséquent quelques jours avant l'occupation de Paris : « Les Prussiens pensent que les jacobins veulent me livrer Bonaparte, parce qu'ils croient que je lui sauverai la vie. Blücher veut le tuer, mais je lui ai dit que je n’y consentirais pas et que j'insisterais pour qu’on ne dispose de lui que du consentement commun de l'alliance. Je lui ai dit aussi que, comme son ami, je lui conseillerais de s’abstenir d’un acte aussi odieux, que lui et moi nous avions joué dans les derniers événemens un rôle trop distingué pour qu'il nous convint de devenir des bourreaux, et que, dans le cas où les souverains se décideraient à le faire périr, ils auraient à en charger un autre que moi. » Ce témoignage, on le voit, est bien positif; il est d’ailleurs confirmé par un document plus irréfragable encore qui se trouve consigné dans les Mémoires du baron de Müffling, un des généraux employés alors dans l'état-major de Blücher : c’est une lettre que le général Gneisenau, chef de cet état-major, écrivait, le 29 juin, à cet officier, et dont voici le texte: « Le feld-maréchal me charge de vous prier de faire savoir au duc de Wellington que son intention avait été de faire exécuter Bonaparte sur le lieu même où le duc d’Enghien a été mis à mort, que par déférence pour les vues du duc il s’en abstiendra, mais que le duc doit prendre sur lui-même la responsabilité de la non-exécution de cette mesure. »

On voit que le général anglais ne considérait pas comme impossible que les souverains ordonnassent la mort de leur glorieux captif. Rien ne peint mieux le degré d’exaltation auquel les haïines politiques étaient alors parvenues. Il résulte d’une lettre écrite à cette époque par lord Liverpool au duc de Wellington que, dans l’opinion du chef du cabinet britannique, le parti qu’on eût dû prendre, si des considérations tirées de la situation intérieure de la France n'y avaient mis obstacle, c'eût été de livrer l’ex-empereur au roi de France, qui l'aurait fait juger comme rebelle, ce qui ne lui aurait laissé, disait-il, aucune chance de salut.