Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION. 89

aux alliés, et cependant chaque jour, de toutes les contrées de l'Europe, des myriades de soldats accouraïent comme à la curée pour prendre leur part des dépouilles du vaincu. Jamais dans les temps modernes, ni peut-être à aucune autre époque, on n'avait vu un tel débordement de populations armées; partout, jusqu'aux portes de Paris, le pillage, les vexations les plus odieuses pesaient sur les infortunés habitans des campagnes, tandis que les villes se voyaient soumises à de lourdes contributions de guerre. Ceux des fonctionnaires français qui essayaient de s’y opposer devenaient l'objet des traitemens les plus rigoureux. Les Prussiens, qui avaient bien des injures semblables à venger; les Belges, les Hollandais, qui ne pouvaient pas alléguer cette triste excuse, se faisaient surtout remarquer par la brutalité de leurs procédés. Le duc de Wellington, impuissant à réprimer les désordres des troupes placées sous d’autres ordres que les siens, et parfois même ceux de ses propres soldats, en éprouvait une extrême irritation. Ce n’était pas seulement l'esprit de justice, l'amour de l’ordre et de la discipline qui se révoltaient en lui contre de tels excès; sa prudence en était grandement alarmée. Plusieurs passages de sa correspondance peignent avec de vives couleurs le tableau qu’il avait sous les yeux et les impressions qu’il en recevait. Dès le 14 juillet 1815, dix jours après la rentrée de Louis XVIII à Paris, annonçant à lord Castlereagh que deux officiers anglais avaient été tués la nuit précédente, il lui écrivait :

«Mon opinion bien arrêtée, que je dois exprimer à votre excellence pour qu'elle fasse aux ministres des cours alliées telles suggestions qu’elle jugera à propos, c’est que nous soulèverons tout le pays contre nous et que nous allumerons une guerre nationale, si on ne met pas un terme à l'oppression inutile (je dirais ridicule, si elle ne devait entrainer probablement des conséquences sérieuses) que l’on fait peser sur le peuple français, si l’on n’empêche les troupes des diverses armées de piller le pays et de détruire, sans avantage pour personne, les maisons et les propriétés, et si les contributions que l'on perçoit partout ne sont pas régularisées par quelque autorité autre que la volonté de chaque commandant particulier. Je vous assure que toutes les informations que je recois tendent à prouver que nous marchons à une véritable crise, et vous pouvez tenir pour certain que si un coup de fusil est tiré à Paris, tout le pays se lèvera en armes contre nous. »

Rien n’égale l’énergique indignation des réprimandes dont l'illustre général frappait ceux de ses subordonnés qui ne savaient pas maintenir la discipline parmi leurs soldats. Le contingent hollandobelge avait été placé sous son autorité. Un des corps qui en faisaient partie s’étant porté envers des prisonniers français à des actes de violence et de pillage, il écrivit au prince Frédéric des Pays-Bas, qui commandait ce contingent, que rien ne pouvait excuser ce Lon-