Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION. 91

se brouiller avec ses alliés pour lui épargner quelques sacrifices.

La France, qui naguère avait repoussé l'alliance russe pour se livrer à celle de l'Angleterre, pouvait-elle du moins se flatter de l’espérance de trouver dans l’appui du cabinet de Londres une compensation de ce qu’elle avait perdu dans l'amitié du cabinet de SaintPétersbourg? Il était permis d’en douter. Lord Castlereagh et le duc de Wellington, réunis alors à Paris, témoignaient, il est vrai, au gouvernement français des intentions bienveillantes; mais celles des autres ministres anglais, et particulièrement du premier lord de la trésorerie, de lord Liverpool, étaient bien différentes. Les lettres que cet homme d'état écrivit à cette époque à lord Castlereagh sur les affaires de France sont empreintes d’une haine passionnée qui fait un contraste singulier avec la modération habituelle de son esprit. L'irritation de la lutte, le souvenir des immenses dangers auxquels l’Angleterre s’était vue si longtemps exposée avaient en quelque sorte transformé son caractère. On sait avec quel regret il avait vu Napoléon échapper au dernier supplice : les vœux qu'il exprimait pour le châtiment de ses complices n’étaient pas moins ardens. En apprenant la capitulation de Paris, il disait que sans doute elle ne serait pas interprétée comme les mettant à l'abri des poursuites de la justice. Bientôt après il se plaignait d’un excès d’indulgence dans lequel il voulait voir une preuve de faiblesse; il n’osait pas espérer qu’une administration où l’on s'était cru forcé d'admettre quelques-uns des membres du parti jacobin fût en mesure de faire justice des conspirateurs, mais il le déploraït d'autant plus que des exemples sévères étaient, suivant lui, l'unique moyen d’affermir la restauration. Plus tard, après l'exécution de Labédoyère, mais avant celle de Ney, des frères Faucher, de Mouton-Duvernet, de Chartran, il parlait du mécontentement qu’excitait en Angleterre l'impunité qui, à une seule exception près, couvrait encore les auteurs du 20 mars. « Je suis persuadé, disait-il, que si, dans les deux ou trois premières semaines qui ont suivi le retour du roi, on avait pu établir un tribunal militaire pour le jugement des chefs de corps qui s'étaient joints à Bonaparte avant que le roi eût quitté le territoire français. et si on avait fait six ou sept exemples des coupables les plus marquans, les dispositions générales par rapport à la France seraient ici bien différentes de ce que nous les voyons, nonseulement en ce qui concerne le gouvernement du roi, mais aussi sur toutes les questions relatives à la réduction de la puissance et du territoire de la France. » On voit, par une lettre d’un autre membre du cabinet de Londres, de lord Bathurst, que le gouvernement britannique eut un moment la pensée de livrer au gouvernement français les généraux Savary et Lallemand, qu’une ordonnance de