Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

LORD CASTLEREAGH ET LA SECONDE RESTAURATION. 95

mesure de précaution et en attendant l’affermissement de l'autorité royale, un certain nombre de places fortes françaises, on aurait pour soi contre les malintentionnés le roi, le gouvernement, le parti royaliste. Dans le cas au contraire où l’on se déciderait à démembrer le royaume, on forcerait le roi à protester devant son peuple contre les demandes des puissances, on le pousserait à la guerre et peut-être préparerait-on la chute de son trône. La cause du roi, bien conduite, n'était p:s désespérée, quoi qu’on en pût dire : il dépendait de l'alliance européenne de la soutenir efficacement; mais si l'on ne croyait pas possible d'adopter la politique modérée qui pouvait seule conduire à ce résultat, alors il fallait entrer franchement dans la politique contraire et la suivre jusqu’au bout. Comme on devait tenir pour certain que la France ne se soumettrait pas longtemps à des conditions trop dures, il fallait les rendre plus dures encore, pour lui ôter, s’il se pouvait, la force de se révolter. Dans cette hypothèse, les exigences des Prussiens eux-mêmes n’allaient pas assez Join : elles laissaient à la France la grande masse de sa population et de ses ressources en lui infligeant cependant des pertes assez sensibles pour exciter dans l'âme de tout Français, à quelque opinion qu’il appartint, le désir de recourir aux armes à la première occasion. Il n’y avait pas de moyens termes, il fallait opter. « L'objet que nous avons en vue, disait en finissant lord Castlereagh, ce n’est pas de recueillir des trophées, mais d'essayer de ramener le monde à des habitudes pacifiques. Je ne crois pas que ce but puisse se concilier avec la pensée d’altérer matériellement et d’une manière permanente la situation territoriale de la France telle qu'elle a été réglée par la paix de Paris; je ne crois pas non plus qu'il soit bien clair (pourvu que nous puissions, en lui mettant une camisole de force pendant un certain nombre d'années, la rendre à ses habitudes, et en tenant compte d’ailleurs de l’agrandissement prodigieux d’autres puissances dans ces derniers temps, spécialement de la Russie), je ne suis pas convaincu, dis-je, que la France, même avec ses dimensions actuelles, ne puisse pas devenir un membre utile plutôt que dangereux du système européen. » à

Cette dernière considération, par laquelle lord Castlereagh s’affranchissait des étroites préoccupations du moment pour peser les chances de l'avenir, n’est pas un des moindres témoignages de l’esprit de prévoyance élevée qui le distinguait. On a vu qu’il se prévalait de l'opinion du duc de Wellington pour s’opposer au démembrement de la France; le duc venait de lui écrire une très longue lettre où il lui disait :

« J'ai lu attentivement le mémorandum que vous m'avez envoyé, et j'ai bien considéré le contenu de ceux des ministres des autres puissances, Mon