Mémoire sur la Bastille

PRÉFACE XIX

un degré d’arbitraire de plus : elle s’ouvrait sur le signe d’un homme, sans autre forme de procès que la filière administrative, tandis que les sentences du Châtelet, des bailliages, des sénéchaussées, des présidiaux, etc., les arrêts des Parlement, étaient délibérés en corps, puis criés, affichés, exécutés publiquement. La Bastille supprimait ces degrés intermédiaires, indispensables, selon Montesquieu, à l'existence d’une monarchie tempérée, mais, surtout (quoi que l’on pense de cette opinion politique), bien précieux pour l'accusé qui défend sa tête, sa liberté ou ses biens. Maintenant, mettons-nous à la place d’un coupable avéré, conscient de son crime, et facile à convaincre : la Bastille devait avoir toutes ses préférences. Elle lui épargnait peut-être des prisons moins bien tenues ou des peines plus rigoureuses. Elle ne déshonorait ni sa personne, ni, par le contre-coup d’un préjugé absurde, maïs invincible, le nom des siens. En outre, il y a eu de tout temps des actes qualifiés crimes, des manifestations religieuses ou politiques punies par des lois positives, et qui néanmoins entraînent point l’infamie. Je ne parle pas des espions étrangers que la Bastille a renfermés en très grand nombre en temps de guerre, et que l’on relächaït la paix signée : le plus ardent patriotisme m'excuse pas en effet l’espionnage. Mais pour les hérétiques, pour les libertins (libres penseurs), et même pour les calomniateurs, les blasphémateurs, les

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